Hommage à Fernand Leclerc

Je reviens à peine du salon funéraire où nous étions réunis, en famille, pour souligner le décès d’un oncle, Fernand Leclerc (1941-2010). On m’avait demandé, plus tôt cette semaine, s’il m’était possible de ramasser mes souvenirs et d’adresser quelques mots en hommage à mon oncle puisque je l’ai particulièrement bien connu. C’était pour moi l’occasion d’écrire, bien entendu, mais c’était aussi le genre d’exercice qui m’a fait réaliser à quel point Fernand était à l’origine de plusieurs de mes apprentissages.

Comme ce carnet constitue le patrimoine de ce que j’apprends, au quotidien, je garde sous l’hyperlien plus bas la trace de ce qui est remonté cette semaine en repensant à mon oncle Fernand… et à notre rassemblement familial de cette après-midi.

Hommage à Fernand Leclerc
Dimanche dernier, voilà maintenant une semaine, la voix forte de Fernand s’est éteinte. Avant d’avoir atteint les soixante-dix ans, le papa de François, de Martin, d’Éric et de Nathalie (mes cousins et ma cousine) s’est laissé tenter par une dernière aventure, un dernier parcours, qu’il a entrepris avec un mélange de sagesse et de résignation.

J’ai bien connu Fernand (je suis son neveu) et c’est avec beaucoup de reconnaissance que je voudrais aujourd’hui lui rendre cet hommage.

J’entends encore son rire percutant depuis que je sais qu’il nous a quittés et aujourd’hui spécialement, je l’imagine assis parmi nous, sourire aux lèvres, la larme à l’oeil, écoutant attentivement tout le bien que nous avons à dire de lui, tout en guettant le moment où il pourra rire à gorge déployée, plus fort que tout le monde bien entendu, pour que nous sachions qu’il est dès nôtres. Mais s’il est là… il n’attirera pas l’attention de cette façon cette après-midi!

Je ne me contenterai pas de parler que de ses bons coups. J’ai l’intention aussi de raconter quelques anecdotes puisque… mon oncle Fernand ne donnait pas toujours dans le «politically correct» et les fleurs roses. Il ne s’est jamais pris trop au sérieux, ce n’est pas au moment où nous témoignons de sa vie avec nous qu’il apprécierait un hommage pompeux et plutôt guindé. Rassurez-vous, je n’irai pas jusqu’à pousser les jurons qu’il conjuguait habilement, furieusement parfois; là-dessus, il est inimitable…

Fernand Leclerc est arrivé dans ma vie dès mon tout jeune âge. Personnage impressionnant, pas du tout intimidé par les enfants, il est tout de suite devenu très proche de moi. Je me souviens qu’il a été un des premiers hommes à me manifester de la tendresse, chose rare parmi les «mâles» de sa génération. Moi qui étais équipé d’un père pas trop porté sur les câlins, j’allais m’asseoir près de Fernand quand il nous visitait parce que tout en discutant avec mon grand-père, il me passait la main dans les cheveux. Une main bienveillante, rassurante même, et surtout, un homme complètement différent de tous les autres qui m’entouraient. Quelqu’un qui osait s’affirmer, capable de prendre la chance de créer quelques malaises en passant, parfois et de gérer ça doucement…

Il m’embrassait à l’européenne quand il me voyait – j’imagine que c’était pareil pour vous les gars – et Dieu sait si on n’avait pas «à craindre» une quelconque hésitation dans son orientation sexuelle. À l’époque, j’avais remarqué comment il regardait certaines parties du corps de ma tante Paula et c’était pas mal clair qu’il aimait les femmes. D’ailleurs, quelques années plus tard, il m’est arrivé souvent d’avoir de longues conversations avec lui au sujet des femmes… J’y reviendrai!

Fernand a toujours été intense. Possédant deux tons de voix (très fort et très très fort), j’ai rapidement compris que ça devait être spécial de vivre à plein temps avec lui. Adolescent, j’avais toujours du sommeil à rattraper après que nous ayons passé du temps ensemble, lui et moi. Je n’ose pas imaginer ce que ses proches vivants sous le même toit que lui pouvaient accumuler en terme de dette de sommeil.

Parlant de sa famille, je dois tout de suite m’excuser pour les gens ici présents qui ont partagé les derniers quinze/vingt ans avec mon oncle. Comme nos chemins se sont moins croisés ces dernières années, je n’aurai pas l’occasion de pouvoir témoigner de ces années. Je tiens quand même à souligner tous les bons mots que Fernand avait pour vous tous dans ses correspondances avec moi. Je soupçonne que vous également, avez été comblé par sa joie de vivre, par sa curiosité maladive, par sa grande générosité et peut-être aussi, par quelques-uns de ses excès. Fernand est un homme de famille et il avait toujours des bonnes choses à dire sur les gens qui l’entouraient.

Plusieurs ici connaissent le type de relation que moi et mes frères avions avec notre paternel… Serez-vous surpris d’apprendre que Fernand ne profitait jamais de cet état de fait pour noircir mon père qui le méritait pourtant assez bien? Bien sûr, chacun de nous avons vécu des aventures de toutes sortes avec Fernand, mais si vous avez la même perspective que moi, vous savez qu’il fuyait les médisances et les jugements faciles même si des histoires, il était capable d’en raconter.

Quel conteur il était…

Au contact de cet oncle particulièrement original, j’ai donc appris la solidarité masculine, j’ai été sensibilisé aux plus grands problèmes du monde, j’ai pu mieux comprendre la nature féminine et aussi, c’est le premier qui m’a fait gouté au pastis… du bon Pernod. Je devais bien avoir quinze ou seize ans!

Plus sérieusement, je voudrais vous dire combien important a été Fernand dans la vie que je mène aujourd’hui. Pour ça, il vous faut imaginer que tout jeune, je ne sortais pas beaucoup de Loretteville ou de Neufchâtel. Bien peu de personnes me parlaient de musique classique, des grands peintres, des enjeux internationaux, de la littérature française ou du fonctionnement de la politique. Mais il y avait Fernand avec qui je pouvais passer des nuits entières à discuter de tous ces sujets parmi d’autres. Fernand est à l’origine de mon ouverture sur le monde; c’est une des personnes qui a le plus élargi mes horizons. En dehors de quelques professeurs et de mon grand-père, il est parmi ceux qui m’a toujours fait sentir qu’on n’en sait jamais assez de la vie, de la culture, de la nature et des humains.

Vous avez peut-être vous aussi une anecdote comme la mienne. J’avais autour de dix-douze ans, si ma mémoire est fidèle. Je lisais beaucoup. Je m’isolais parfois pour lire des livres de T. Lobsang Rampa. Des titres comme « Le troisième œil », « Le voyage astral » ou comment voir « L’aura » . Je sentais que ma mère n’aimait pas trop ce que je lisais et un jour, voilà que mon oncle Fernand arrive en renfort, répondant probablement à l’appel de détresse de ma mère qui ne voulait sûrement pas attendre que je lévite tout seul dans ma chambre.

Avec douceur et tact, Fernand m’avait posé quelques questions. Sans gêne, il m’avait dit que je faisais peur un peu avec mes lectures et qu’il fallait que j’en prenne et que j’en laisse. Il me montrait simplement comment afficher un peu de sens critique. Du grand Fernand… Pas là pour juger ma conduite, mais il avait un don pour faire réfléchir. Bon… j’imagine facilement qu’avec ses propres enfants, ça pouvait être un peu plus directif, mais le temps vous a sûrement appris à vous aussi que Fernand était un de ces grands humanistes préconisant l’ouverture à la censure, en tout!

Je ne sais pas comment c’était avec vous autres, mais sa vision du monde, l’importance qu’il accordait à la liberté de pensée… c’était toujours spécial un moment d’intimité avec Fernand. Il me parlait souvent, rendu à l’âge du Cégep, de ses peurs, de ses difficultés comme homme, et oui parfois aussi de ses difficultés à être un bon mari et le père que ses enfants ou ma tante souhaitaient. Je veux dire qu’il s’interrogeait. Il aimait beaucoup me dire du bien de ses enfants, mes cousins et ma cousine. Je me sentais privilégié d’avoir son point de vue sur les forces de chacun. Doutant de lui bien davantage que des autres, Fernand affichait une sorte de «confiance» en la vie des autres, leur destin qui m’impressionnait. Un mélange de détachement et d’engagement qui détonnait avec la charge affective qui se dégageait parfois de ses rapports avec sa famille quand j’étais avec eux pour partager un repas au hasard d’une visite où j’étais toujours super bien accueilli.

Fernand a toujours aimé profondément sa famille, l’une de ses valeurs. Parfois, je me disais qu’il ne fallait pas être trop proche de Fernand tellement il était intense… Tout jeune, il avait fabriqué un char allégorique pour un défilé auquel participait mon frère et je me souviens seulement… que c’était… comment dire… un peu trop? Mais Fernand était comme ça, dans ses colères comme dans ses éclats de joie… entier et impressionnant!

Ça me fait tout drôle d’imaginer que Fernand se prépare à rejoindre Henri-Paul, Agathe, ses parents à lui et tous ceux qu’il a connus dans sa vie mouvementée, chez Carmichaël ou sur la rue St-Jean, dans le temps. Ça va brasser au ciel dans les prochains jours…

Nous sommes plusieurs ici, hommes et femmes, garçons et filles, neveux et nièces et petits-enfants à avoir bénéficié de l’amour de nos ainés pour construire notre vie. Pour moi, l’influence de mes oncles Paul, Jacques et Fernand s’est avérée déterminante et explique en partie qui je suis. Ils ont été des modèles positifs dans ma vie d’homme et je leur en serai toujours reconnaissant. Aujourd’hui, j’accueille le décès de Fernand en me disant que ma responsabilité est de donner le meilleur à mes enfants et à mes neveux et nièces de ce qu’il m’a offert, lui, comme être humain particulièrement attentionné à ce que je devienne qui je souhaitais. Devenu adulte, il a continué à m’encourager, m’envoyant même des courriels suite à ce qu’il lisait sur mon blogue.

Fernand, tu sais le nombre de fois où tu m’as parlé de grands maîtres, de gens sages qui étaient savants ou de grands artistes. Sache que pendant ton passage dans notre vie, tu as souvent été notre guide et une personne en qui nous avions confiance. C’était souvent toi «notre grand artiste». Je sais bien que comme Picasso, tu essayais souvent de sortir des sentiers battus, que tu voulais apprendre à aller au bout de tes passions et en cela, tu as mis la barre haute pour nous, tu nous as poussés à aller plus loin. Nous ne t’avons peut-être pas dit souvent que nous t’aimions beaucoup… Je vais parler en «je»… Je ne t’ai pas dit souvent, à quel point tu étais important pour moi, mon oncle. Je t’aime Fernand. Aujourd’hui, nous devons tous accepter que tu veilles sur nous différemment. Je prie tous les grands sages de ce monde où tu vas maintenant pour qu’ils t’accueillent à la hauteur du grand homme que tu es. Si ta vie avec nous t’a parfois fait douter, tu sais maintenant qu’il y a une grande part de toi, la meilleure, qui vit à travers nous. Accepte de figurer parmi les grandes âmes, là où tu dois aller. Merci pour tout, oncle Fernand… et sache que nous passerons ces prochaines années, avec ceux qui nous entourent à honorer ta mémoire de créateur et de chercheur, à ta façon.

Tu es en paix maintenant, toi qui était parfois tourmenté par la vie. Si je peux encore te demander… viens pendant que je serai assoupi, passer ta main dans ce qui me reste de cheveux. J’ose espérer que les silences, en ta présence, seront aussi éclairants qu’avant. Pars l’esprit libre… libre penseur que tu étais déjà.

Oncle Fernand… Longue vie à toi, à travers nous tous.

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