Un cégep qui innove ne sera jamais aboli

Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec dans la section « blogue ».

Le débat sur la pertinence des cégeps a refait surface la semaine dernière pendant que j’étais en Gaspésie et j’ai reçu de nombreuses invitations à me prononcer sur le sujet, depuis. Les jeunes libéraux (et Pierre Moreau avant eux) ont soumis l’idée à leur congrès annuel ce week-end dernier et ils ont fait adopter une résolution en faveur de l’abolition des cégeps (vote serré, 96 vs 84).

Depuis de nombreuses années, je suis préoccupé par les taux faméliques d’étudiants du collégial qui obtiennent leur diplôme au bout de deux (formation pré-universitaire) ou de trois années (formation technique), mais je suis néanmoins contre l’abolition des cégeps, en principe.

Je suis de ceux qui croient qu’une des raisons de notre immense succès dans l’accessibilité aux études universitaires tient à la présence du niveau collégial.

S’il faut d’urgence améliorer la réussite des étudiants dans les temps requis, c’est par l’innovation et la créativité, établissement par établissement, qu’on va y arriver.

Le problème, je crois, c’est que l’innovation n’est pas le lot d’une assez grande majorité de cégeps et que trop souvent, nous n’entendons parler que de l’inertie qui empêche les changements intéressants et performants de survenir.

Que ce soit par le biais des cégeps associés aux centres collégiaux de transfert technologique (CCTT) ou de ceux qui obtiennent des contrats de recherche pour des entreprises de leur région ou encore de ceux qui réorganisent leurs services pour mettre l’accent sur la réussite des étudiants… on ne proposerait jamais d’abolir les cégeps s’ils étaient reconnus comme des milieux innovants.

J’attendais avant d’écrire mon billet de pouvoir échanger avec la direction du Collège Mérici (un exemple, parmi d’autres, d’établissements collégiaux qui innovent) puisqu’on m’avait dit qu’une première cohorte d’étudiants du DEC Sciences humaines en un an venait de graduer.

J’ai choisi cet exemple d’innovation parce que je crois qu’on n’en fait pas assez au collégial pour accélérer le cheminement de ceux qui peuvent aller plus rapidement et qu’il est trop facile dans les cégeps de lâcher des cours. J’ai toujours dit à mes garçons que le passage au collégial est sérieux, à condition d’y rester le moins longtemps possible…

J’avais pris rendez-vous et je reviens de ma visite au Collège Mérici. Il s’agit d’un établissement de bonne réputation (à Québec depuis 1930 dans le giron des Ursulines), qui offre actuellement cinq programmes techniques dans deux domaines (Tourisme, hôtellerie et restauration & Santé et services sociaux), en plus du pré-universitaire. J’avais indiqué à la direction que je voulais comprendre comment ils sont arrivés à innover pour offrir un cheminement totalement différent à des étudiants, dans le contexte où aucun autre cégep ne semble capable d’accélérer le pas et d’offrir en Sciences humaines, l’équivalent de ce qu’ils ont mis de l’avant.

Je tiens à faire remarquer que mes trois garçons ont fréquenté des cégeps publics et que je n’ai jamais travaillé pour le Collège Mérici. On a attiré mon attention sur une communauté éducative qui s’est relevée les manches dans un créneau unique, pour innover, et j’ai suivi la piste.

Ce matin, j’ai rencontré des intervenants du collégial qui veulent multiplier les offres de services hors des sentiers battus. J’ai été ravi…

L’idée d’un diplôme d’études collégiales (DEC) Sciences humaines en une seule année vient d’une aide pédagogique individuelle (API), à l’été 2012, à l’occasion de sa participation à une réunion de type «tempête d’idées» convoquée par la nouvelle direction qui voyait l’un de ses fleurons (le programme d’études pré-universitaire en Sciences humaines) mourir à petit feu. Le 2 juillet 2013, les dix premiers étudiants étaient accueillis et ils viennent de graduer, le 16 juillet dernier. Une nouvelle cohorte est en marche et tout le monde semble emballé.

Evelyne Ferron (historienne, chargée de cours dans deux universités et responsable du programme) ne tarissait pas d’éloges envers les étudiants fraîchement gradués, qu’elle et l’équipe de professeurs envoient à l’université…

«Beaucoup d’étudiants se cherchent en sortant du secondaire, mais ce que nous offrons s’adresse à des étudiants qui savent qu’ils veulent aller en Sciences humaines à l’université et qui sont prêts à se consacrer entièrement à leurs études collégiales pendant un an. Les universités sont ravies d’ouvrir leur porte à des jeunes bien formés au collégial qui ont mis leurs études en priorité et qui ont prouvé leurs compétences à bien gérer leur temps pour acquérir des connaissances.»

Le directeur des études de Mérici affirme qu’il est possible de promettre la réussite à des étudiants dans ce programme, s’ils ont au moins cumulé une moyenne de 70% au secondaire et qu’ils sont prêts à travailler fort.

La directrice générale du Collège se félicite de la collaboration reçue du ministère (enseignement supérieur ou éducation) pour que tout soit conforme aux exigences et respecte le cadre légal des études supérieures. Elle n’avait que des bons mots pour le syndicat des professeurs (non-afillié à une des grandes centrales) qui a accepté des compromis pour que la poursuite d’un programme d’études l’été à temps plein (dans les meilleures conditions pour les étudiants) soit possible.

Le cheminement des étudiants de ce programme se fait sur quatre sessions (été-automne-hiver-été) et il n’y a aucune concession faite sur le nombre de crédits ou de cours à réussir par rapport à d’autres étudiants qui cheminent sur deux ans ou plus. Une fois qu’ils ont terminé leur DEC, en un an, ils ont quand même six semaines avant d’entrer à l’université.

L’ordre d’enseignement collégial ne pourra échapper à des transformations et à des mises à jour, s’il souhaite que cesse les remises en question périodiques dont il est l’objet. Surtout, les cégeps doivent retrouver la capacité de sortir des sentiers battus et une certaine marge de manoeuvre pour innover.

Nicole Bilodeau (directrice générale) me racontait avoir été cadre huit ans dans un cégep public. Elle s’est résignée à devoir quitter parce que la reddition de compte était devenue avec le temps, tellement exigeante, «que tu ne peux plus t’occuper des jeunes, ce pourquoi tu es en éducation». Un établissement comme celui de Mérici regroupe autour de 1 200 étudiants et depuis deux ans, elle se dit «comme un poisson dans l’eau».

«La bureaucratie envahissante, c’est une des raisons pour laquelle j’ai quitté le collégial public. J’ai retrouvé ici à Mérici, au privé, le plaisir de travailler avec les profs et les jeunes. Dans l’espace d’un mois, convaincre des profs d’un cégep public de travailler l’été sur une base permanente… oubliez ça ! J’aime beaucoup travailler dans un milieu capable de se revirer sur un dix cennes.»

Pierre Richard (directeur des études) n’a pas hésité à utiliser une maxime pour décrire le cheminement de l’équipe de profs qu’il dirige et qui a été déterminant dans la venue du programme DEC Sciences humaines en un an : «La nécessité est la mère de l’invention».

«Dans la région de Québec, Limoilou, Garneau ou Ste-Foy, ce sont des bons collèges. On ne vient pas à Mérici parce que ce n’est pas bon ailleurs. On vient à Mérici dans les programmes techniques parce qu’il y a des offres très particulières. Pour le pré-universitaire, en Sciences humaines, nous avions l’obligation d’innover et de nous distinguer. Nous sommes fiers de l’avoir fait!»

Il semblerait qu’on vient même de Montréal pour ce DEC Sciences humaines en un an…

C’est possible en enseignement collégial d’innover et d’agir sur la durée du passage avant d’obtenir un diplôme. Il faut mettre le focus sur la réussite et s’ajuster sur le temps requis pour compléter des études. Certains peuvent réussir plus vite que d’autres et il faut nourrir cet appétit d’apprendre. S’il faut se montrer plus conciliant envers d’autres, on doit néanmoins encadrer davantage et s’assurer qu’il ne soit pas possible de faire un «doctorat en cégep».

Les gens de Mérici ne se posent pas la question de leur survie, actuellement, après avoir déjà traversé des temps plus difficiles. Ils évoluent dans un climat d’innovation. La peur de perdre un fleuron les a portés à innover, dans un petit bijou de programme, pas connu, mais qui peut s’avérer utile pour un grand nombre de jeunes.

Evelyne Ferron qui est aussi chroniqueuse-historienne à l’émission Dessine-moi un dimanche animé par Franco Nuovo sur ICI Radio-Canada Première est fière d’accoler son nom à ce programme qui «contribue à valoriser la formation de qualité en Sciences humaines».

Il faut souhaiter à chaque établissement collégial de ne pas «s’asseoir» sur les paroles rassurantes du «docteur des cégeps» et sur celles de son chef. Pour que cessent les remises en question, il faudra s’attaquer aux problèmes connus auxquelles font face les cégeps. Le temps des résistances politiques, professionnelles ou syndicales a assez duré.

N.B. Mérici offre également un «Forfait réussite» axé sur la transition secondaire-collégial, à l’intérieur de n’importe lequel des programmes d’études. D’une durée de trente heures, la formule peut être considérée ou pas, en tant que cours complémentaire et selon le choix, impliquer travaux et évaluation. Toujours cet objectif d’améliorer l’encadrement.

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