Débat intensif sur l’enseignement de l’anglais

Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec dans la section « blogue ».

En éducation, les sujets propices à débattre ne manquent pas.

La publication par le Conseil supérieur de l’éducation d’un avis (ACSE) sur l’amélioration de l’enseignement de l’anglais, langue seconde, au primaire est l’occasion de ramener à l’avant plan le débat sur cette question : l’enseignement de l’anglais intensif au troisième cycle du primaire devrait-il être obligatoire partout au Québec? (Ajout : Résumé du RIRE – CTREQ)

L’anglais intensif n’est pas nouveau, mais c’est en février 2011 qu’a été annoncé l’implantation progressive sur cinq ans de ce programme, pour tout le Québec. Heureuse nouvelle pour certains, mauvaise direction pour d’autres, on parle actuellement d’autour de 14% des élèves de sixième année du primaire qui vivraient l’anglais intensif dans leur classe (236 écoles primaires publiques francophones sur 1 715 au Québec, source: ACSE). Mis à part la région de Saguenay−Lac-Saint-Jean qui est nettement en avance (depuis 2003, la région s’y est mis), toutes les régions du Québec doivent se positionner sur le rythme avec lequel elles veulent/doivent composer.

Le défi de mobiliser les communautés éducatives, une à une, n’est pas si simple, d’autant que le flou politique des dernières années n’aide pas les milieux scolaires à prendre position sur la question. Actuellement, chaque conseil d’établissement doit décider si «oui» ou «non», il adopte le programme intensif d’enseignement de l’anglais langue seconde, mais le gouvernement Couillard avait annoncé la relance de son caractère obligatoire, le gouvernement Marois l’ayant ramené facultatif, en mars 2013.

Suite à la publication de l’ACSE (qui est contre le mur-à-mur), le ministre de l’Éducation, Yves Bolduc, s’est dit «ouvert à des exceptions», principalement dans les milieux scolaires allophones, si j’ai bien compris (source). De fait, on ne connait pas les modalités de fonctionnement ni les balises qui permettraient à un milieu de s’exclure et d’être exclu.

C’est quoi l’anglais intensif?
Trois composantes sont présentes dans l’anglais intensif : l’augmentation du temps accordé, sa concentration sur une courte période et l’enrichissement du programme régulier du MELS.

L’enseignement intensif de l’anglais n’est pas semblable au contexte de l’immersion. En intensif, on apprend pas de nouveaux contenus de d’autres matières scolaires que l’anglais langue seconde, ce qui est le cas en immersion. Par exemple, on pourrait faire des sciences en anglais intensif, mais on ne pourrait pas évaluer les apprentissages de ces sciences, on ne pourrait que réviser du connu. L’objectif c’est d’apprendre l’anglais.

On vise des élèves bilingues ou pas ?
Au Québec, on ne vise pas à rendre les élèves bilingues, à la fin de leur études secondaires. On vise à ce qu’ils soient à l’aise en anglais, d’un point de vue fonctionnel. Cette aisance fonctionnelle est normalement possible en 1 200 heures d’enseignement, selon les experts (et ces heures doivent être le moins soupoudrées possible). Actuellement, on parle de 800 heures d’enseignement reçues et avec l’intensif en fin de primaire, on pourrait rejoindre ce 1 200 heures…

N’oublions pas que l’anglais langue seconde est une matière obligatoire à partir de la première année du primaire, actuellement. Au primaire, le temps d’enseignement n’est pas prescrit (c’est le choix de chaque école). Au secondaire, c’est 100 heures par année. Former des élèves bilingues commanderait 5 000 heures d’enseignement.

Qu’est-ce que dit l’avis du Conseil supérieur de l’éducation (ACSE)?
Plusieurs articles dans les médias ont rapporté les conclusions du CSE (1, 2, 3), d’autres ont commenté sa diffusion (1, 2, 3). Voici en gros ce qu’il en est…

«Le Conseil observe que le programme d’anglais, langue seconde, est ambitieux et que les attentes de la population sont grandes. En revanche, le Conseil constate aussi que les conditions pour un enseignement efficace de l’anglais, langue seconde, ne sont pas toujours réunies : le temps consacré n’est pas suffisant et n’est pas réparti de façon optimale, les approches pédagogiques utilisées seraient encore trop souvent centrées sur la grammaire alors que l’on devrait d’abord développer en langue seconde des automatismes et des compétences à l’oral, ce que préconise d’ailleurs le Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ). Parce que l’enseignement intensif augmente et concentre le temps consacré à la langue seconde, il permet de satisfaire à deux conditions d’efficacité.»

Le CSE maintient que la décision d’aller de l’avant avec l’intensif devrait être prise par le conseil d’établissement de chaque école, ce avec quoi je suis entièrement d’accord. Le mur-à-mur inquiète le Conseil, parce que ça enlève aux écoles qui ont des projets particuliers la capacité de les réaliser. Le Conseil reconnait le bien-fondé de la mesure «enseignement de l’anglais en intensif». Il ajoute simplement – à raison – que certaines autres conditions doivent être remplies «pour que ce programme porte ses fruits sans répercussions sur les autres matières».

On fait quoi, à partir de maintenant?
Autant le Québec ne peut bien se développer dans un unilinguisme français, autant la promotion et la protection de l’enseignement du français doivent être privilégiées.

Je suis de ceux qui croient que les écoles sont les mieux placées pour évaluer si leurs élèves de sixième année sont déjà en situation d’aisance fonctionnelle ou si un grand nombre d’élèves sont à ce stade de leur parcours en retard d’apprentissage en français ou en mathématiques, ce qui pourrait leur indiquer de ne pas choisir l’intensif, pour l’enseignement de l’anglais.

Si l’aisance fonctionnelle en anglais sert la formation d’une main-d’oeuvre utile pour les entreprises, elle est aussi essentielle pour la culture générale d’un Québécois.

Est-ce que l’enseignement de l’anglais en intensif au troisième cycle du primaire nuit à l’apprentissage du français, notre langue commune citoyenne?

Non, en général.

L’anglais est un atout quand on le maîtrise et peut devenir un handicap quand on ne le maîtrise pas. Évidemment, c’est encore pire si on ne maîtrise pas au Québec, en lecture/écriture, le français.

À Montréal (où on retrouve 159 langues maternelles différentes), ce débat sur l’anglais intensif ne représente-t-il pas l’occasion de se concentrer sur le rapport que nous devrions entretenir entre les langues?

Actuellement, dans le contexte de certains choix que nous avons à faire sur la gestion des finances publiques, tous les parents du Québec sont préoccupés par la sauvegarde des services éducatifs qu’ils reçoivent. Doit-on mettre la priorité dans le choix des ressources sur l’enseignement intensif de l’anglais?

Doit-on prendre le temps qu’il faut pour s’assurer de pouvoir compter dans nos classes sur les enseignants les mieux formés possible en enseignement de l’anglais?

À toutes ces questions, je fais confiance aux réponses du conseil d’établissement de chaque école. Il est le mieux placé pour donner l’heure juste à sa communauté et faire les choix en conséquence.

Je salue le débat intensif sur l’enseignement de l’anglais en même temps que je félicite le Conseil supérieur de l’éducation pour son avis éclairant.

N.B. Pour qui voudrait creuser la question et soupeser le pour et le contre, je recommande l’écoute de cette édition de l’émission Faut pas croire tout ce qu’on dit, sur les ondes, samedi dernier, de ICI Première chaîne de Radio-Canada.

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