Le retour des assemblées de placement

Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section « blogue ».

Pour plusieurs enseignants, de jeunes enseignants en particulier, la mi-août est le moment de participer à des assemblées publiques prévues pour l’attribution des postes vacants en enseignement, autant en formation générale des jeunes qu’à l’éducation des adultes. Plusieurs appellations circulent pour nommer ces réunions où des centaines de gens formés à l’université se partagent des restes de tâches d’enseignement dans le réseau public d’éducation. Peu importe leur nom, le fait qu’existe encore en 2015 cette manière de traiter des enseignants en dit long sur cette profession en quête d’un minimum de reconnaissance.

Je me souviens qu’un reportage de l’émission enjeux avait beaucoup fait jaser à l’époque, en 2006. On parlait de loterie, de repêchage, d’encan, de bingo et aujourd’hui en 2015, je lis que certains enseignants parlent encore de ces «assemblées de placement ou d’affectation» qu’ils continuent de dénoncer (souvent en privé), même s’ils n’ont aucun autre choix pour pouvoir obtenir un contrat d’enseignement dans le réseau public, pour l’année scolaire 2015-2016.

Il semble que la journée d’aujourd’hui soit effectivement celle des «encans aux esclaves», journée où tour à tour, un grand nombre de professionnels se verront offrir des tâches où ils auront plusieurs matières à enseigner à des élèves de plusieurs niveaux différents, parfois même dans des écoles différentes.

Autrement dit, ces enseignants apprendront à quelques jours de la rentrée des classes ce qu’ils devront enseigner, sans véritablement avoir le temps de se préparer convenablement.

L’ordre par lequel les tâches seront offertes dans chaque commission scolaire est déterminé par ancienneté. Ceux qui voudront se colleter avec le jargon syndical qui encadre cette procédure peuvent consulter ces deux documents (1, 2), mais une chose demeure évidente: ceux qui entrent dans la profession doivent vivre un véritable chemin de croix avant de connaître des conditions de vie professionnelle dignes du statut d’une profession.

J’ai souvent parlé à des jeunes qui sortent à peine des facultés d’éducation et en plus du cycle infernal des remplacements et des suppléances que vivent bon nombre de nouveaux enseignants, ces assemblées représentent un générateur de stress qui rend insomniaque, tout au long de l’été.

Les universités forment des enseignants en grand nombre mais, une fois diplômés, on leur fait vivre des conditions d’insertion professionnelle épouvantables qui les conduisent parfois directement au chômage, quand ce n’est pas vers une autre occupation que celle pour laquelle ils avaient été formés.

La situation n’a pas vraiment évolué depuis 2008, au moment où Daphnée Dion-Viens (maintenant au Journal) réalisait un reportage sur le sujet.

En 2015, les enseignants permanents choisissent leur tâche au printemps et certains « à statut précaire » (les plus anciens) pouvaient choisir un poste en voie de permanence (quand il y en a) la semaine dernière. C’est ce matin qu’avait lieu «l’assemblée d’affectation» (ou de placement) pour les nombreux contrats de 50% et plus. Certaines écoles tiennent leur première journée pédagogique cette semaine… et c’est la semaine prochaine que la rentrée des élèves s’effectue dans un grand nombre d’écoles préscolaires, primaires et secondaires.

J’écoutais Émile Proulx-Cloutier en entrevue chez Pénélope McQuade mercredi dernier et les échanges sur la condition enseignante avec les autres invités sur le plateau étaient unanimes: la profession d’enseignant possède un statut bien inférieure dans la population aux attentes que nous avons tous en société envers ceux qui enseignent aux enfants !

On leur mène une vie difficile selon Émile Proulx-Cloutier et il est bon d’écouter le dialogue et le témoignage de chacun des invités de Pénélope pour réaliser tout le chemin à parcourir pour rehausser quelque peu le statut professionnel des enseignants.

Accompagné de Patrick Lagacé, Michel Dumont et Denis Bernard, l’artiste qui a incarné le rôle d’un enseignant dans la série télévisée 30 vies sur ICI Radio-Canada (Samuel Pagé, enseignait la musique) racontait même qu’à la suite de son expérience, il se demandait comment font ceux qui «allument à tous les jours des feux dans la tête des petits kids»?

Avec toutes les contraintes que le système place sur la route de ceux qui veulent entretenir la passion d’enseigner, pas étonnant que plusieurs en arrachent et finissent par décrocher

Je comprends certaines de ces contraintes. Mais celles qui concernent l’attribution des tâches dans les écoles par un repêchage tel qu’il est organisé par les commissions scolaires et les syndicats, j’avoue ne rien comprendre. On finit par donner les pires tâches à ceux qui ont le moins d’ancienneté et d’expérience. L’inverse du bon sens, souvent, en particulier quand on pense aux écoles défavorisées qui sont choisies en dernier (le «jeu» de l’ancienneté qui décide de tout), mais qui nécessiteraient l’embauche des enseignants parmi les plus expérimentés. Par dessus le marché, ceux qui y aboutissent, savent à la dernière minute ce qui les attend, ont des tâches remplies de planifications dans différentes matières (domaines d’apprentissage) et manquent de temps pour bien se préparer.

La précarité de l’emploi pour ces jeunes gens qui entrent dans la profession n’est pas digne de la reconnaissance que nous devrions éprouver pour la profession.

Je voyais passer ce matin sur deux fils Twitter (#CampTIC15 et #BootcampMtl) plusieurs messages d’enseignants qui peuvent participer à des sessions de formation continue. Nous sommes en plein été et un grand nombre d’enseignants se comportent en professionnel; ils enrichissent leurs connaissances pour mieux servir les besoins des élèves. C’est tout en leur honneur. Je parie qu’ils ne sont pas touchés par le repêchage…

Pour qu’ils puissent ainsi se former et s’adapter aux changements de la société, les enseignants doivent pouvoir compter sur un minimum vital de considération et de prévisibilité sur ce qu’ils enseignent et avec qui ils oeuvrent en classe.

La bureaucratie a tellement pris de place avec le temps dans le réseau public qu’on en est venu à trouver normal de devoir passer trois, cinq et même dix ans par ces assemblées de placement avant de trouver une certaine stabilité. Ce n’est absolument pas normal que ce soit érigé en système et qu’on ne le dénonce plus.

Dans tous les débats qui prendront place cet automne sur l’autonomie des écoles et le rôle des commissions scolaires, je souhaite vivement qu’on abolisse ces façons rétrogrades de procéder et que les enseignants n’aient plus à vivre ces situations déshonorantes.

Mise à jour du 27 août: Témoignage d’une internaute (saisie d’écran Facebook).

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