Histoire à dormir debout

J’ai lu beaucoup depuis jeudi matin sur cette affaire du programme d’histoire du Canada et du Québec au secondaire, qui doit entrer en vigueur en 2007-08. Le Devoir a publié de nombreux articles sur le sujet (1, 2, 3) dont un éditorial et la chronique de Denise Bombardier; et je ne parle pas des autres médias (Canoë, Agoravox et Radio-Canada (Maisonneuve), entre autres…). Même le Président de la Société des professeurs d’histoire du Québec s’en est mêlé… avec raison.
Jean-François Cardin (Professeur de didactique de l’histoire à l’Université Laval) intervient dans l’édition de demain ayant été interpellé dès le début de cette histoire :

«Ce que j’ai d’abord tenté d’expliquer à M. Robitaille et à d’autres journalistes, c’est l’interprétation que j’avais des intentions du gouvernement, sur la longue durée, de proposer dans ses programmes, à tort ou à raison, une histoire nationale qui soit moins axée sur les conflits et les luttes nationales entre anglophones et francophones.»

S’il existe une zone sensible dans nos rapports avec le passé, elle réside dans nos relations avec les Anglais, c’est bien connu. Aucun programme n’a d’avenir s’il occulte certains faits de notre histoire, s’il tente de faire construire des compétences en n’offrant pas une base solide au niveau des connaissances qui vont devoir être mobilisées dans les situations d’apprentissage. Les trois compétences ne semblent pas remises en question :

  • Interroger les réalités sociales dans une perspective historique
  • Interpréter les réalités sociales à l’aide de la méthode historique
  • Construire sa conscience citoyenne à l’aide de l’histoire

Mon point de vue est donc celui d’un observateur inquiet. Je veux bien penser comme M. Cardin et dire «qu’un programme reste, au sens propre du mot, un «programme», c’est-à-dire qu’il ne détermine pas l’enseignement réel en salle de classe, qui, lui, Dieu merci, relève d’un professionnel de l’enseignement, le prof d’histoire», mais c’est trop facile comme porte de sortie. Ce programme doit être solide et ne pas prêter flanc à un biais historique qui ferait passer outre des faits qui auraient indéniablement marqué notre destin comme société. Il n’y aura absolument rien de positif pour l’approche par compétence dans ce «document de travail aux fins de validation» (c’est l’expression écrite en bas de page du document qui a «coulé» cette semaine») si le contenu disciplinaire qui supporte les visées de formation devient biaisé ou édulcoré.

Cela dit, je suis en partie rassuré de la sortie publique du ministre qui affirme ne pas vouloir «contribuer à politiser l’enseignement de l’histoire». Je veux bien croire qu’aucun enseignant n’acceptera d’enseigner des histoires à dormir debout, mais il y a trop eu de récits ennuyants dans les cours d’histoire pour qu’on ne prenne pas les précautions requises dans le programme. Je ne peux pas croire qu’on va ramener les étudiants au temps des litanies telles que ces longs monologues sur les martyrs de la Nouvelle-France qui ont composé l’essentiel de plusieurs cours d’histoire de mon enfance.

Bien que je considère plusieurs réactions comme ayant été exagérées, je me joins au concert de ceux qui demandent un ajustement d’ici à ce que paraisse la version officielle du programme d’histoire. Des faits pour des faits, très peu pour moi, mais «l’absence de certains faits» reste inadmissible pour la qualité de la formation de nos adultes de demain.

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14 Commentaires
  1. Photo du profil de FrancoisGuite
    FrancoisGuite 16 années Il y a

    Faire des choix historiques à des fins éducatives, aussi bien intentionnés soient-ils, relève de la manipulation du savoir, voire de la manipulation identitaire.
    Je n’arrive pas à comprendre comment des personnes au MELS peuvent avoir autant d’autorité éditoriale sur le penchant à donner à l’histoire. À partir du moment où le ministère sanctionne la subjectivation de l’histoire, n’est-ce pas encourager les professeurs d’histoire à teinter eux aussi les faits ?

  2. Mathieu Noppen 16 années Il y a

    Bien sûr l’enseignement de l’histoire touche une corde sensible de la culture québécoise, mais il ne faut pas oublier que le but du nouveau programme de formation est de se baser non plus uniquement sur les savoirs, comme c’est le cas en ce moment, mais beaucoup plus sur le savoir-faire – c’est-à-dire les compétences. De plus, le cours d’histoire porte maintenant le nom «Histoire et éducation à la citoyenneté», donc il vise non plus à faire apprendre des faits, mais plutôt à développer un esprit critique chez les élèves en leur permettant de développer leur propre idée sur lesdits faits.
    Le cours d’Histoire nationale n’est pas encore en application, mais les premiers résultats que l’ont peut voir avec le cours d’Histoire générale – du moins la première année du cycle – fait en sorte que les élèves semblent plus intéressés par le cours d’histoire qu’avant – c’est l’impression que me laissent mes élèves. Ils trouvent intéressant de faire des liens entre les différentes sociétés et de rapporter le tout à la société actuelle. Peut-être que le cours d’Histoire nationale va avoir le même effet sur les élèves.

  3. Photo du profil de LucPapineau
    LucPapineau 16 années Il y a

    Bien le bonjour, messieurs,
    Je discutais de ce sujet avec ma copine qui est à la maîtrise en histoire et nous avons convenu de certains points.
    Tout d’abord, il n’y a pas d’histoire «objective» et encore moins d’enseignement objectif de l’histoire. Il suffit, pour s’en convaincre, de jeter un coup d’oeil à la façon dont l’histoire du Canada est enseignée à l’extérieur du Québec. Il suffit aussi de constater que, dans la Belle Province, ce cours s’appelle histoire Canada-Québec pour réaliser qu’on accorde une importance certaine à l’histoire de cette province. Deux solitudes, deux visions des choses.
    De plus, même en ce qui a trait à l’histoire du Québec, on remarque que des visions différentes s’opposent au sein même de cette province. Ainsi, l’on retrouve maintenant des post-révisionnistes qui estiment qu’il est exagéré de parler de Grande noirceur pour qualifier l’époque de Maurice Duplessis, par exemple.
    Enfin, ce que l’on remarque, c’est que le nouveau programme d’histoire semble gommer tout ce qui opposent anglo et franco… S’il n’y a pas une visée politique derrière cette vision des choses…
    cependant, il ne faut pas non plus être aveugle: trois collègues enseignant l’histoire m’ont déjà afffirmé le plus simplement du monde qu’il est impossible pour un jeune étudiant de ne pas vouloir voter oui à un référendum sur la souveraineté du Québec s’il a bien suivi son cours d’histoire nationale actuellement…
    C’est tout dire des choix qui sont faits quant à ce programme.
    Voilà!

  4. Photo du profil de ericNoel
    ericNoel 16 années Il y a

    J’avoue ne pas avoir trouvé de lien « trackback »
    Mon grain de sel ici
    http://www.blog.profnoel.com/index.php/histoire-a-dormir-debout

  5. Photo du profil de ClementLaberge
    ClementLaberge 16 années Il y a

    Je m’étonne un peu de la tournure de la discussion sur le sujet depuis quelques jours.
    1. D’abord parce que j’ai eu la chance de participer à une présentation d’un des « rédacteurs » du nouveau programme d’histoire il y a quelques mois et que j’avais été *absolument enthousiasmé* par l’approche retenue et parce les nouvelles voies que cela ouvrait au plan pédagogique. Est-ce que nous avons pris la peine de comprendre ou si quelques manchettes ou information incomplètes ont trop rapidement cristallisées une impression sur le sujet?
    2. Aussi parce que j’assume, comme Luc Papineau, qu’il n’existe pas de « version objective de l’histoire » et que, par définition, l’enseignement de l’histoire est politique. L’éducation, elle-même est forcément quelque chose de politique.
    Par conséquent, si je me réjouis de voir le sujet faire l’objet de débat, je m’étonne qu’on fasse porter les hauts cris sur le « contenu de l’histoire »…
    Pourquoi enseigne-t-on l’histoire au Québec en 2006?
    Quelle est l’intention poursuivi par ce nouveau programme?
    Voilà des questions qui, il me semble, seraient susceptibles de donner lieu à des discussions beaucoup plus intéressantes et constructives.

  6. Photo du profil de ClementLaberge
    ClementLaberge 16 années Il y a

    Petite précision…
    Ceci n’empêche évidemment pas qu’on puisse devoir consacrer plus de temps/importance à des moments charnières de l’histoire, accorder de l’importance à une part de « par coeur », etc.
    Quoi que dise le programme à ce sujet, est-ce qu’un prof peut vraiment passer à côté?
    N’est-ce pas aussi deux visions des rapports programme-enseignant qui s’affrontent dans ce débat?

  7. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 16 années Il y a

    Avant d’aller plus loin, j’aimerais souligner le billet d’André Chartrand qui offre son opinion sur le même sujet.
    Je ne crois pas qu’il y ait lieu de revenir sur la structure du programme, ni sur la vision, mais le programme ne doit pas prêter flanc à mettre de côté des pans de notre histoire en tant que société. Sur les intentions et les visées, pas de problème non plus. Mais pour interroger et interpréter les réalités sociales, pour construire sa conscience citoyenne, il y a des faits historiques (savoirs dits «essentiels») qui me semblent incontournables et qui doivent paraître dans le programme. Tout comme en français, on ne peut prétendre développer sa compétence à «écrire des textes variés » si le savoir essentiel «accord du participe passé conjugué avec avoir» n’est pas partie prenante des apprentissages.
    La grammaire de l’histoire, ce sont les faits (tous aussi empreints de subjectivité dans l’interprétation à leur donner) et il me paraît hasardeux de vouloir poursuivre ce qui peut créer autant d’enthousiasme sans nommer ces incontournables éléments de «grammaire». Comme je l’ai déjà dit, en bout de ligne, le «bon prof» y veillera; mais je ne vois pas de sens à se doter d’un programme qui veut rendre les étudiants compétents en identifiant à moitié ce qui doit les rendre savants pour ce faire…
    Les situations d’apprentissage sont toujours bâties à partir du programme. Dans ce débat sur le programme d’histoire, il y a des gens qui s’offrent un gros party (un bon «spin») qui leur permet de remettre en question tout l’édifice de la réforme. Je n’en fais pas partie. J’en ai entendu hier à l’émission «Ouvert le samedi»; ça me désole que cette brèche permette une telle dérape ! Dans ce débat sur le programme d’histoire, il y a aussi des gens qui croient que le renouveau actuel peut améliorer la qualité de la formation et ils ne doivent pas se taire quand ils voient des «inconséquences». En passant, qui défend le programme dans sa version actuelle ? Monsieur Cardin défend bien l’à-propos de l’approche, mais je n’ai entendu personne défendre bec et ongle le contenu présentement formulé. Il faut remarquer que le ministre est rapidement intervenu pour exiger une nouvelle version du document. Je crois donc que les tenants des deux visions des rapports «programme-enseignant» sont étrangement du même côté dans ce débat et ça ne sert pas très bien l’autre débat sur le renouveau pédagogique lui-même.
    Personnellement, je suis moins le défenseur de la réforme que celui de la qualité des apprentissages à l’école. Je n’ai jamais hésité à critiquer cette dernière quand elle faisait fausse route (à mon avis) et je suis prêt à prendre beaucoup de risques pour défendre l’importance du contenu dans les programmes…

  8. Photo du profil de LyonelKaufmann
    LyonelKaufmann 16 années Il y a

    Loin de moi l’envie d’interférer avec ce débat canado-québecois, mais comme il n’y a pas de trackback, je vous renvoie à l’écho et le petit commentaire donné à ce billet sur mon site.
    C’est par ici : http://histoire.lyonelkaufmann.ch/?p=140
    Avec toute mon amitié francophone, suisse, romande et vaudoise !

  9. Photo du profil de DanielTrottier
    DanielTrottier 16 années Il y a

    S’il y avait une discipline gagnante avec cette réforme, c’était bien l’histoire. Sur le plan quantitatif en tout cas : on l’étudiera pendant quatre ans au lieu de deux. Naïfs que nous sommes, nous avons tout de suite cru à une augmentation et à un approfondissement des savoirs. C’était sans compter le « renouveau pédagogique » et la coloration citoyenne qui a tout de la rectitude politique. Rien à voir avec l’étude des populations autochtones, contre quoi personne n’osera s’élever.
    Allons voir du côté du programme d’histoire et d’éducation à la citoyenneté du 1er cycle.
    Selon ce programme, « construire sa conscience citoyenne », c’est considérer le vingtième siècle à l’aune de la reconnaissance des libertés et des droits civils. Point. Quelques repères culturels pour cette époque : Habib Bourguiba, Léopold Sédar Senghor, Gandhi, Martin Luther King, Nelson Mandela, Simonne Monet-Chartrand, Marie Gérin-Lajoie, Assi bo nanga (Johnny Clegg), l’Apartheid, The Civil Rights Act, La Déclaration universelle des droits de l’homme, Le deuxième sexe (Simone de Beauvoir), le compte rendu de la Conférence de Wannsee du 20 janvier 1942, le camp d’Auschwitz, Mein Kampf (Adolf Hitler), les lois de Nuremberg, Le Journal d’Anne Frank, La liste de Schindler (Steven Spielberg), les instructions du Conseil national de la Résistance aux Comités départementaux de Libération du 15 mars 1944. Le mouvement pour la conquête de la liberté et des droits civils s’exprime dans des contextes différents : féminisme, antiracisme, décolonisation. L’un de ces contextes doit être étudié, précise le programme.
    Pardonnez l’énumération fastidieuse, mais dois-je comprendre que les deux guerres mondiales, la guerre froide, la chute du Mur, l’effondrement de l’empire soviétique ne sont pas en soi des objets d’étude ? Est-on en train de faire l’impasse sur ce qui devrait normalement façonner notre compréhension du monde et le sens des enjeux géopolitiques actuels ? Peut-on résumer le 20e siècle à la seule conquête des droits civils ? J’ai l’impression que le projet de programme du 2e cycle actuellement sous les feux nourris des médias – projet que je n’ai pas encore lu – participe de la même conception.
    Troublant. Notamment parce que ce programme du 2e cycle mène tout droit à une épreuve unique du MÉLS.

  10. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 16 années Il y a

    Ce point de vue de Christian Laville dans Le Devoir de mardi me semble important à lire dans le contexte de cette discussion.

  11. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 16 années Il y a

    Deux autres articles me semblent pertinents à lire à la suite de cette conversation. La chronique d’hier de Joseph Facal qui affirme sans gène que «la controverse sur le nouveau programme d’enseignement de l’histoire est mille fois plus importante que le budget fédéral d’hier.» Vrai que cette discipline « n’est pas suffisamment valorisée ». Par contre, j’ai des réserves sur les motifs invoqués qui feraient que « les parents se ruent vers l’école privée ».
    Et puis, il y a cet avis de dix des professeurs consultés qui sont convaincus (et assez convainquant, ma foi) d’avoir « effectué un bon travail »…

  12. Mathieu Noppen 16 années Il y a

    Il semblerait que les 2 liens de ton dernier commentaire mènent au même article, soit celui de Joseph Facal, est-ce normal?

  13. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 16 années Il y a

    Merci Mathieu, j’ai corrigé. Le lien vers l’article d’un collectif de professeurs est http://www.ledevoir.com/2006/05/05/108389.html .

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