La grève inutile…

Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section « blogue ».

La vague des grèves tournantes en éducation en sera rendue la semaine prochaine à deux journées consécutives, les jeudi et vendredi 12 et 13 novembre pour ce qui est de la grande région de Québec. Si les négociations pour le renouvellement des conventions collectives ne bougent pas suffisamment, il est prévu trois autres journées de grève les 1er, 2 et 3 décembre. Que certains enseignants s’y opposent ne surprendra personne, mais que quelques-uns décident de prendre la parole en public pour faire valoir leurs arguments étonne davantage. Voyons ce qu’ils ont à dire…

Je lis régulièrement par l’entremise des médias sociaux des témoignages d’enseignants qui sont plus ou moins d’accord avec les moyens de pression. Si ces enseignants s’entendent généralement pour déplorer l’effet des politiques actuelles du gouvernement dans leur classe ou leur école, ils témoignent de leur inconfort à devoir à la fois être solidaires de leur syndicat et des élèves. Je pense en particulier à ce témoignage d’une enseignante qui s’est résignée à ne pas se présenter à un tournoi sportif avec les jeunes qu’elle entraîne…


N.B. Commentaire à ne pas faire : il y a des fautes dans son petit texte écrit rapidement et qui était destiné à un cercle restreint de personnes.
Pas facile de devoir décider entre l’appui à son syndicat quand on sait jusqu’à quel point les activités de plusieurs jeunes dans nos écoles dépendent du bénévolat des enseignants.

Le cas de ces élèves de l’école Rochebelle fait aussi beaucoup jaser à Québec…

On a vu passer dans les derniers jours deux témoignages d’enseignants qui ont pris position contre le moyen de pression que constitue la grève. Leurs arguments méritent d’être discutés d’autant qu’on se demande souvent s’il est possible de vraiment échanger à partir de points de vue divergents dans les assemblées générales où se prennent les votes de grève.

Le premier de ces témoignages concerne une enseignante du primaire de la région de Québec. Elle s’est exprimée dans une lettre ouverte et à l’occasion d’une entrevue dans l’émission de radio où j’ai l’habitude de tenir une chronique sur l’éducation. En gros, elle affirme avoir voté contre la grève malgré un certain mépris éprouvé face aux offres du gouvernement parce que les inconvénients et le tort causés à d’autres surpassent les bénéfices escomptés. Enseignante depuis près de 12 ans, elle se désole du choix des méthodes pour prendre la décision d’aller en grève et du fait de devoir oublier l’éducatrice en elle…

«Or, les syndicats tentent de convaincre leurs membres qu’ils doivent revendiquer en leur faisant oublier qui ils sont et ce qu’ils ont. Ils tentent de nous convaincre et de nous informer en ne disant que ce qui fait leur affaire! Ils ne cherchent pas de moyens intéressants pour nous faire entendre. Tout ce qu’ils veulent, c’est aller dans la rue comme le faisaient nos parents et nos grands-parents. Ils ne cherchent pas à évoluer.»
Elle aimerait pouvoir attirer l’attention des gouvernants et des médias sur les améliorations possibles, mais elle plaide pour « que les syndicats arrêtent de prendre leurs membres pour des marionnettes ».

Le deuxième témoignage vient d’un professeur habitué de prendre la parole à travers les médias, Pierre-Yves McSween. Il s’exprime sur la valeur d’un arrêt de travail dans les 48 cégeps du Québec, alléguant que « quatre, cinq, six jours de grève dans les cégeps, ça ne dérange personne ».

Le moyen de pression choisi ne « pénalisera que les étudiants et nous-mêmes [les profs], puisqu’il faudra bien faire le travail plus tard », selon lui. Pire encore, il a l’impression que « les profs auront brûlé quatre jours de salaire et leur fonds de grève pour rien ». Il juge « les demandes de part et d’autre » comme étant « extrêmes » et croit qu’un bon pas serait de régler la question des salaires pour une « augmentation équivalente au taux d’inflation ».

Le recours à la grève fait beaucoup jaser et il est intéressant de se demander si « le jeu en vaut vraiment la chandelle ». Tant de bouleversements sociaux valent-ils le gain obtenu, dans le contexte où les négociations semblent se poursuivre aux tables (ajout : ce n’est plus vrai, la FAE vient d’annoncer qu’elle suspend sa participation aux tables sectorielles) et qu’en choisissant de faire la grève, rien n’indique que la population va mieux appuyer les revendications des enseignants ? Ces derniers ne risquent-ils pas d’ailleurs d’avoir moins confiance dans leur syndicat au terme de cet automne chaud, s’ils obtiennent des augmentations de salaires, mais pas plus de ressources dans les classes pour aider les élèves, ceux en difficultés d’apprentissage en particulier ?

Ce matin, on apprend d’ailleurs que plusieurs écoles de différentes régions du Québec ont été évacuées « en raison d’alertes à la bombe ». Il faudra voir si ces alertes ont un lien avec le mouvement des grèves tournantes, mais peu importe, elles ajoutent aux perturbations que connaissent les élèves, leurs parents, les enseignants et les cadres scolaires, sans compter les forces de l’ordre. (Ajout : « Un collectif visait les enseignants, dit Pierre Moreau »)

Les enseignants savent tous au moment de choisir cette profession [sic?] que les semaines « normales » comportent de longues heures de travail, dont certaines ne seront pas reconnues officiellement. Il faut bien-sûr améliorer les conditions de travail des enseignants, surtout celles de ceux qui débutent à mon avis, mais on devra surtout questionner la logique actuelle des négociations quand elles seront terminées.

Pierre-Yves McSween affirme que « les professeurs ont des conditions acceptables ».

Marie-Claude Tardif quant à elle va jusqu’à dire que son « statut d’enseignante » fait d’elle « une personne privilégiée dans cette société ».

Ce sont des points de vue qu’il faut entendre et écouter, sans nier qu’il y a du travail à faire pour que ça aille mieux en éducation.

Règle générale, les enseignants sont dévoués et font plus que ce qu’on leur demande. Ils veulent davantage de reconnaissance et c’est légitime.

J’ai souvent l’impression d’ailleurs qu’ils aimeraient être mieux reconnus par leur syndicat, en particulier.

On fait quoi maintenant ?

L’enseignante du primaire expliquait à Stéphane Gasse en fin d’entrevue ce matin avoir trouvé avec des collègues une idée «qui ne coûte rien, qui ne nuit pas aux parents et qui n’enlève rien sur les payes ».

Il faudra possiblement attendre jusqu’à vendredi pour voir. J’avoue être intrigué…

Le cri du coeur de tous les enseignants doit être entendu, celui de ceux qui sont pour la grève autant que celui de ceux qui favorisent d’autres moyens de pression. Il me semble qu’on doit faire des efforts pour trouver des moyens de pression « digne des années 2 000 », comme l’explique Marie-Claude Tardif.

« La cause la plus importante parmi toutes celles qu’on tente de défendre, ça demeure celle des enfants! »

Je termine ce billet qui se veut sérieux sur une note plus humoristique.

Je laisse le mot de la fin à Mononc’Serge qui a trouvé comment composer avec une journée de grève dans les écoles. Avec la participation de Raphaël, Flavie et Émile, il nous offre une chanson à ne pas prendre au premier degré !

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2 Commentaires
  1. Photo du profil de Tristan Robert
    Tristan Robert 7 années Il y a

    Pour mémoire :

    – Printemps 2002 : fin de la convention collective des profs.Le gouvernement ne donne pas de mandat à ses négociateurs à la table des négos et rien n’avance.

    – Décembre 2005 : déjà sans convention collective depuis environ trois ans et les négos stagnant toujours, les profs se résignent à 2-3 jours de grève et le gouvernement impose aussitôt aux profs une convention collective de 7 ans (un précédent!) par une loi spéciale draconienne.Cette loi 43 (projet de loi 142) impose notamment un gel rétroactif des salaires pour les premiers 2 ans et 9 mois.

    – Mars 2007 : l’ONU ( !) donne raison aux syndicats en condamnant la décision du gouvernement d’imposer la loi spéciale 43.Les profs attentent toujours une quelconque réparation de leurs préjudices.

    – 2010 : sous prétexte de la crise financière/immobilière des subprimes en 2007-2008 aux États-Unis, en 2010 le gouvernement québécois se campe dans des offres faméliques pour le renouvèlement de la convention collective des profs.Au final, les profs auront une augmentation de 0,5% la première année, de 0,75% la deuxième… avec amortissement des hausses salariales conditionnelles à l’atteinte d’un certain niveau d’augmentation du PIB (une première consentie par les syndicats).

    – 2012 : aux élections, la CAQ s’engage, si elle est élue, à majorer de 20% le salaire des profs pour mieux reconnaitre le mérite lié à l’importance de cette profession.Si (et nous disons bien si) les gens de la CAQ ne sont pas des amateurs ou des girouettes, ils devaient avoir évalué la faisabilité et le bienfondé de la chose.Notons que ce 20% alors préconisé par la CAQ (un parti de droite!) est supérieur à ce que demandent les syndicats (souvent qualifiés de gogauche!).

    – 2014-2015 : la convention collective des profs venait à échéance au printemps 2015 et les négociations ont commencé bien avant, en 2014.Prétextant la recherche de l’équilibre budgétaire, après avoir coupé maintes fois de plusieurs millions le financement de l’éducation, le gouvernement reste depuis environ un an campé sur une offre salariale pour les profs de 0% la première année, 0% la deuxième année, puis 1% la troisième, 1% la quatrième et 1% la cinquième.Et ce, même si les profs accusent déjà un retard salarial.Et ce, même si l’alourdissement de la tâche reconnue par un **comité paritaire** est constamment renommé «évolution de la tâche» par le gouvernement pour ne pas payer les heures travaillées sur le bras par les profs et identifiées par ce comité paritaire.Avant d’en venir à des jours de grève, les profs ont multiplié les activités de visibilité.Le 1er mai, ils ont voulu manifester contre l’austérité, et le gouvernement les en a empêchés en rendant la chose illégale.Ils ont manifesté des samedis, et le gouvernement a rétorqué que des manifestations la fin de semaine ne le dérangeaient pas (ça ne dérange personne, ou presque).Des parents ont de leur côté fait des chaines humaines symboliques contre les coupes de millions en éducation, et le ministre Blais a rétorqué qu’il serait «maladroit de réinvestir en éducation».

    La grève inutile ?

    *******Il reste quoi alors, M. Asselin, pour se tenir debout face à un gouvernement qui méprise les artisans de l’éducation ?*******

    ****** J’aimerais vous entendre là-dessus. *******

    Dans ce monde mercantile, le salaire est aussi une reconnaissance, que l’on soit de gauche ou de droite.

    P.-S. : et pour les personnes qui diront : «oui, mais c’est nous qui payons le salaire des profs», pensez-vous que lorsque l’entreprise privée ou une banque/Desjardins ou une microbrasserie ou une épicerie ou une station de radio ou une firme de jeux vidéos (etc.) vous donne une augmentation de salaire, elle ne refile pas la facture à quelqu’un d’autre (ou qui la refile aussi, s’il est un commanditaire), en l’occurrence là aussi refilé à vous et moi dans le cas de l’entreprise privée aussi et tout autant ?

  2. Photo du profil de Tristan Robert
    Tristan Robert 7 années Il y a

    Oh, et pour ce qui est du vidéo de Mononc’Serge, bien qu’il faille un second degré, c’est d’un incommensurable mépris lorsque l’on fait déjà 60h semaine en étant payé que 32.5h …. La caricature est si facile, pour les gérants d’estrades…

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