«Quand aurons-nous droit à un échange honnête et sérieux sur le système d’éducation au Québec?»

C’est la question posée par un ex-collègue qui m’a écrit hier et aujourd’hui suite à la lecture de ma critique du dernier livre de Normand Baillargeon. Je demeure toujours fasciné par ces échanges consécutifs à certains de mes billets, par courriel, téléphone ou en «face à face». Parfois, j’aimerais mieux que les commentaires à la suite de mes billets contiennent toutes ces perles, mais je comprends aussi que tous n’aient pas les mêmes réflexes.
Je crois que mon collègue a quand même mis le doigt sur quelque chose d’important. Avec sa permission, je reproduis de larges extraits de «son commentaire»:

«J’ai lu ton blogue sur le dernier livre de Normand Baillargeon. Comme tu le soulignes, la «réforme» qui est prise pour cible par Baillargeon, Bédard, Quérin et d’autres est une invention. Malheureusement, cette caricature de la réalité est en train de s’imposer comme modèle de référence dans les débats sur le renouveau pédagogique en cours dans nos écoles. Pour cette raison, j’estime que les propos tenus par les porte-parole de la contre-réforme doivent être examinés plus en profondeur et plus rigoureusement qu’ils ne l’ont été jusqu’à ce jour.

En ce moment, la légèreté de la réflexion en matière d’éducation est déconcertante. Un exemple de la vacuité du débat public actuel nous est donné par Jacques Brassard, ancien député et ministre. Dans son blogue, Brassard dit avoir découvert les assises théoriques de la réforme en lisant les propos de Normand Baillargeon dans «Contre la réforme». L’aveu est étonnant. Il était pourtant ministre quand la réforme a été conçue. À l’époque, il n’a pas cru bon de s’informer. Aujourd’hui, il suffit que le docteur Baillargeon qualifie les fondements de la réforme de malsains pour que l’ancien ministre se dise prêt à mettre la réforme au rancart. M. Brassard est chanceux, car beaucoup de gens réfléchissent pour lui. Toutefois, son cas n’est pas isolé. Ce genre de servitude est, semblerait-il, très répandu au Québec.

Dans «Contre la réforme», l’injonction prononcée par Normand Baillargeon est intéressante en ce qu’elle accorde au prof. von Glasersfeld une influence démesurée sur les décisions du ministère de l’Éducation. Aux yeux de Baillargeon, le fait que von Glasersfeld ait été honoré par l’UQAM suffit à lui conférer le pouvoir de peser lourdement sur les décisions du ministère de l’Éducation. Comme toi, j’ai participé à de nombreuses rencontres sur la mise en œuvre de la réforme sans jamais entendre le nom de cet illustre professeur.

Pour les opposants de la réforme, tous les moyens sont bons pour éviter une réflexion sérieuse sur l’essentiel, c’est-à-dire sur le contenu du Programme de formation et sa mise en œuvre dans la classe. M. Baillargeon et les autres inventent d’abord une réforme pour mieux la démolir. Ils trouvent ensuite des coupables qu’ils s’échinent à diaboliser. Au début des années 2000, le responsable de la réforme était un obscur sociologue suisse. Aujourd’hui, c’est un obscur philosophe allemand qui est pointé du doigt quand ce n’est pas un groupe de fonctionnaires anonymes. Quand aurons-nous droit à un échange honnête et sérieux sur le système d’éducation au Québec?»

Le texte de Baillargeon sur les fondements épistémologiques de la réforme ne tient pas la route. Dans un débat de spécialistes, Baillargeon se ferait broyer. Mais dans le contexte d’un débat tenu sur la place publique, il passe pour le savant qui a révélé les «secrets cachés de la réforme». Déplorable. Il est temps d’exiger un peu plus de sagesse dans cette discussion. Nos enfants méritent mieux.»

Michel P. Trudeau, retraité, ex-cadre dans le réseau scolaire, mais encore très actif

Comme c’est souvent le cas sur les blogues, les commentaires sont souvent plus intéressants que les billets qui les provoquent!

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15 Commentaires
  1. Photo du profil de MariellePotvin
    MariellePotvin 13 années Il y a

    M. Asselin,
    Encore une fois, merci de nous aider à nuancer des propos trop souvent biaisés.
    On n’a pas fini de réfléchir sur le sujet, qui nous aideront, espérons-le, passer à des actions concrètes. L’apport de la psychologie cognitive et maintenant de la neuroéducation y seront pour beaucoup, dans la mesure où nous accepterons de les considérer. Ce que les pro-réforme (dont je suis) ont bien tenté de faire, mais en se butant à tellement de malentendus qu’il en est devenu presque mission impossible. La résistance, toujours la résistance…
    Vous avez raison, nos enfants méritent mieux.
    J’en profite pour vous souhaiter une excellente année 2010. Santé, bien sûr, mais aussi poursuite de votre inspirante influence.

  2. Photo du profil de LucPapineau
    LucPapineau 13 années Il y a

    M. Asselin, pourquoi, quand une prise de position contre la réforme, on affirme qu’il ne s’agit pas d’un débat honnête et sérieux? Pourquoi ne pas plutôt dire «un débat mieux informé»? Pourquoi, quand on parle de la réforme, on dit qu’il s’agit de ce qu’il y a de mieux comme si le reste était mauvais.
    Avant la réforme, il y avait une pensée unique en éducation. Avec la réforme, il y en a une autre… Ou est la diversité des approches?
    Ce que vous avez connu de la réforme est à des lieux de ce que j’ai vécu. Cela fait-il de moi ou de vous quelqu’un qui tient un discours malhonnête ou «pas sérieux»?
    On peut bien parler du programme de formation. C’est du papier. Rempli de beaux idéaux. Sa mise en oeuvre dans la classe est parfois cahotique depuis les début du Renouveau.
    Il y a aussi l’évaluation qui importante. Et ça, étrangement, bien des pro-réforme évitent le sujet.
    En terminant, je suis tanné de parler de pro et anti-réforme. Actuellement, notre système d’éducation est dans un cahot indescriptible. Il fait face à des problèmes majeurs sur plusieurs plans, pas uniquement celui de la pédagogie. On perd un temps fou à s’éparpiller.

  3. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 13 années Il y a

    M. Luc, la réponse à votre question est [en partie] dans votre commentaire: «discutons du programme de formation plutôt que d’une réforme dont nous ne pouvons avoir une représentation commune».
    Je décode – et comprend – votre frustration M. Luc. Je trouve que vous et moi – et d’autres – discutons assez sérieusement, ici, de ce sujet depuis tout ce temps. Si Michel Trudeau pose la question, je crois que c’est dû au fait qu’il en a mare de la désinformation de certains. Je conviendrai avec vous qu’il y a aussi de la désinformation de la part de ceux qui «vante» la réforme. Le débat «sérieux», j’imagine, voudrait dire «constructif» et si je continue d’argumenter avec vous, c’est que je crois en notre capacité mutuelle de l’être, «constructif»!
    N’en veuillez pas à Michel… ni à ses arguments. C’est juste que le «poids» de la prétendue influence de ce «von Glasersfeld»… on en revient pas de provoquer autant de critiques à partir de cette prémisse.
    L’évaluation. Vrai que ce sujet mériterait débat. C’est délicat M. Luc. Pourquoi? Parce que c’est probablement le sujet où il y a le plus de mésentente tous azimuts en éducation actuellement, «pro» et «anti» réforme confondus, à l’intérieur de ces mêmes «clans» (si ces «clans» existent).

  4. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 13 années Il y a

    J’ajoute…
    Au moment où j’écrivais le précédent commentaire, Patrick Giroux répondait à la question de son blogue:

    «Et là je repense au billet de Mario et me dit que, tout compte fait, ce débat, je ne suis plus certain d’en vouloir! Ces gens distribués un peu partout ne représentaient pas une masse critique il y a quelques années. Aujourd’hui, c’est différent. Ils changent le monde un projet à la fois. Ils agissent ensemble grâce à la puissance d’Internet. Ils se réconfortent, partagent et réussissent de grandes et belles choses. Et ce réseau grandit. Il ne se passe pas une semaine sans que j’ajoute de nouveaux enseignants ou conseillers pédagogiques à mon agrégateur ou à mon compte Twitter. Lentement, ces gens luttent contre l’inertie en imposant un certain mouvement à leur environnement immédiat. Le mouvement vient du fond, d’en bas de la tour de l’éducation. Et je me demande, est-ce vraiment nécessaire de débattre publiquement? Peut-être est-on déjà en train de l’avoir ce débat…»

  5. Photo du profil de MichelP.Trudeau
    MichelP.Trudeau 13 années Il y a

    Luc Papineau souligne l’importance d’un débat mieux informé. Je suis tout à fait d’accord avec lui. C’est pour cette raison qu’il ne faut pas se croiser les bras lorsque l’on claironne, sur la place publique, des idées dépourvues de tout fondement. L’accueil fait par Jacques Brassard aux propos de Baillargeon est d’ailleurs assez parlant : l’ex-ministre encourage les enseignants à tourner le dos aux programmes du MELS. J’aimerais rappeler à Luc, et à M. Brassard, que l’enseignement du Programme de formation n’est pas facultatif; il est légalement obligatoire.
    Dans les circonstances actuelles, ce n’est pas seulement la mise en œuvre de la réforme qui est chaotique, c’est tout le système scolaire qui est livré au chaos. Les coups de boutoir assénés par Baillargeon, Bédard, Facal et d’autres y sont pour quelque chose. Les atermoiements de la ministre, le silence obligé des fonctionnaires du MELS et les réflexions trop intimes des universitaires ne font qu’exacerber le manque de direction dont souffre le système scolaire québécois, à l’heure actuelle. Il y a, bien sûr, de nombreux enseignants et cadres scolaires qui, malgré tout et en toute conscience professionnelle, appliquent le Programme de formation. Mais, ce n’est pas assez. Il faut que les pédagogues se lèvent et fassent leurs devoirs.

  6. Photo du profil de MarcSt-Pierre
    MarcSt-Pierre 13 années Il y a

    Quand on commence à vouloir réinterpréter ou réécrire ce qu’a été cette réforme, c’est juste signe qu’elle est déjà derrière nous. Et c’est bien que ce soit ainsi, parce qu’au-delà des interprétations a posteriori, ce que dans le monde des tribunes téléphoniques on appelle du « second guessing » , force est d’admettre que les résultats n’ont pas été au rendez-vous, particulièrement pour ce qui concerne les élèves en difficulté et ceux issus des milieux défavorisés. Ceux de nos élèves qui réussissaient avant tout cela ont continué à réussir et à persévérer. Pour les autres, je ne suis pas près à dire que les choses se sont améliorées. Et là où pour certaines clientèles à risque il y a eu certaines améliorations, c’est parce qu’on s’est détourné des modèles proposés pour aller vers des façons de faire qui s’appuyaient un peu plus sur des résultats de recherches.
    Je ne pense pas qu’on a besoin de débattre encore de pédagogie. On a juste besoin de silence pour pouvoir travailler en paix.

  7. Photo du profil de LucPapineau
    LucPapineau 13 années Il y a

    Pour M. Trudeau, un débat mieux informé passe par l’application du programme de formation sans aucun discernement. Il y a des pans de ce programme, notamment en évaluation, qui sont purement aberrants.
    Faire son devoir, c’est parfois celui de résister à des éléments auxquels on ne croit pas, è des éléments qui nuisent, à notre avis, à la formation des jeunes.
    Pendant près de 10 ans, le MELS et les décideurs scolaires et pédagogiques ont pu mener les choses à leur guise ou presque, avec les résultats qu’on connait. Ce n’est que, dans les cinq dernières années, que la résistance au Renouveau a été plus vigoureuse. Même la FSE donnait la chance au coureur…
    Au lieu de blâmer les Facal, Baillargeon et tutti quanti, M. Trudeau devrait se pencher sur les artisans de la réforme qui ont réussi à la couler par les actions.
    Quand on a la responsibilité d’appliquer un changement aussi important, on accepte son échec ou, du moins, on prend sa part de responsabilité au lieu de blâmer constamment les autres. De plus, on s’assure d’une adhésion intelligente des intervenants sur le terrain au lieu d’invoquer des arguments d’autorité.

  8. Normand Péladeau 13 années Il y a

    Monsieur Trudeau écrit: « Au début des années 2000, le responsable de la réforme était un obscur sociologue suisse. Aujourd’hui, c’est un obscur philosophe allemand »
    Quelques données empiriques à ce sujet. Je crois que si Glazersfeld a eu une influence sur la réforme, ce fut une influence indirecte et non pas directe sur les acteurs de cette réforme. C’est du moins ce que laisse croire une analyse de contenu de Vie Pédagogique. Entre 1975 et 2005, ce nom n’est cité qu’à 5 reprises dans les articles de cette revue. Il arrive au 31e rang des auteurs les plus cités. Est-il cité fréquemment dans les ouvrages des auteurs plus populaires? C’est possible, mais la démonstration reste à faire. Je crois que l’argument de monsieur Baillargeon se situait à un niveau plus épistémologique (indirect) que pratique (direct). Quelle a été l’influence de Glazesfeld sur le mouvement constructiviste? Quelle a été son influence sur les acteurs de la réforme? Si je ne me trompe, il a été invité à plusieurs reprises au Québec dans nos facultés d’éducation. Il y a même des documents vidéo qui en témoignent.
    Cependant, pour ce qui est de cet « obscur sociologue suisse », il s’agit bien sûr de Philippe Perrenoud. Il faut être « mal informé » pour le traiter ainsi d' »obscur sociologue suisse », d’autant plus que son nom fut cité à 211 reprises dans Vie Pédagogique, le plaçant en toute première position de l’auteur le plus cité dans Vie Pédagogique, loin en première place devant Meirieu (144), Piaget (109) et Freinet (102).
    Je n’interviens plus aussi souvent dans le débat entourant la réforme, en partie pour des raisons professionnelles, mais aussi en raison de ce manque de sérieux et de la mauvaise foi de bien des protagonistes dans ce débat. Malheureusement, rien ne me laisse que les choses ont changé. C’est désolant, puisque ce sont nos enfants qui en paient le prix.

  9. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 13 années Il y a

    Je ne reviendrai pas «sur le cas» de Glazersfeld, mais j’admets que pour moi, «l’obscur sociologue suisse» ne pouvait faire partie du même groupe que le philosophe Allemand, car lui (s’il s’agit bien de Perrenoud), j’en ai entendu parler (assez souvent même) au début de l’implantation de la réforme.
    J’imagine que ce que Michel Trudeau veut dire, c’est que le débat s’éloigne du sujet principal (le programme de formation), chaque fois qu’on essaie de le faire porter sur celui/ceux qui aurait/ent eu de l’influence en amont.
    J’en profite pour vous saluer M. Péladeau. Je me souviens de nos nombreux échanges ici, il fut un temps…
    Je vous remercie d’avoir saisi l’occasion pour nous préciser ce que M. Baillargeon avait peut être voulu «dire». Il faut ajouter que sur son blogue, l’auteur du livre m’a écrit qu’il ne répliquait jamais aux critiques.

  10. Photo du profil de MichelP.Trudeau
    MichelP.Trudeau 13 années Il y a

    M. Péladeau a bien raison de souligner l’apport de Philippe Perrenoud à la réflexion sur la pédagogie au Québec. Je le remercie pour cette mise au point. Mais, le travail cet intellectuel suisse demeure néanmoins inconnu du grand public. On pourrait aussi mentionner Bruner, Barth, Meirieu, Beckers, Allal et bien d’autres encore. Toutes ces personnes ont contribué au brassage des idées qui ont donné lieu au renouveau pédagogique. Comme le rappelle Mario Asselin, ce que je dénonce c’est la personnalisation à outrance de certaines attaques lancées contre la réforme. Cette pratique réductrice et stérile a pour effet de faire sombrer la discussion dans la démagogie et de nous éloigner de ce qui devrait être l’objet de nos préoccupations : le Programme de formation, les pratiques pédagogiques qui caractérisent sa mise en œuvre et les résultats qui en découlent.
    Une autre façon d’éviter toute réflexion constructive sur le renouveau pédagogique consiste à condamner la réforme sur la base d’une expérience personnelle ou d’une analyse partielle des résultats. «École : le scandale de l’illettrisme». Cette apostrophe est-elle l’amorce d’une chronique de Denise Bombardier sur les résultats de la réforme? Non, il s’agit plutôt d’un titre en première page du Nouvel Observateur (6 au 12 septembre 2007). La France dont le système d’éducation est bien différent du nôtre fait face aux mêmes problèmes que nous. Quelle est la part de responsabilité de la réforme dans les difficultés qui se manifestent outre-Atlantique?
    À l’heure actuelle, on connaît bien peu de choses sur l’impact réel du renouveau pédagogique dans nos écoles, car on connaît mal le taux de pénétration de la réforme dans la classe. En plus, le lien entre la mise en œuvre du Programme de formation et le développement intellectuel de nos élèves est encore mal documenté. Les personnes qui clament haut et fort que la réforme peut être qualifiée d’ores et déjà de désastre fondent leur opinion sur des données bien partielles, des expériences subjectives ou les deux à la fois. Heureusement, une équipe de l’Université Laval est au travail pour mettre en lumière ces questions.

  11. Photo du profil de LucPapineau
    LucPapineau 13 années Il y a

    M. Trudeau,
    Les résultats des élèves du primaire en français sont-ils le fruit de mon imagination? Même le MELS a admis qu’il y avait une baisse, si je me souviens bien.
    Et le plus rigolo, c’est que, maintenant, il sera bien difficile de comparer avant et aprés puisque le type d’évaluation a changé.
    On n’en sortira tout simplement jamais.
    Et pour moi, l’indice «décrochage» est une donnée importante. Or, celui-ci n’a pas baissé comme on nous l’annonçait. le renouveau a été mis de l’avant pour contrer ce problème, si je me rappelle bien.

  12. Photo du profil de MichelP.Trudeau
    MichelP.Trudeau 13 années Il y a

    M. Papineau soulève un point important en évoquant les difficultés qu’éprouvent les élèves du primaire dans l’apprentissage du français. Les résultats sont décevants, j’en conviens. Toutefois, avant de conclure que la réforme est entièrement responsable de cette situation, il faudrait d’abord interpréter les résultats à la lumière des informations disponibles. Et ensuite, agir en conséquence. Examinons le contexte d’un peu plus près.
    1. Quel est le taux de pénétration du renouveau pédagogique dans les classes du Québec? Mon expérience à titre de cadre, au secondaire, m’amène à croire qu’il atteint environ 50 %, à la fin de la deuxième année d’implantation. Là encore, il faut nuancer le propos. Plusieurs enseignants se croient fermement engagés dans la réforme travaillent alors qu’ils se basent sur des représentations totalement ou partiellement erronées quant à certains aspects du renouveau pédagogique. Dans de telles circonstances, comment peut-on imputer à la réforme l’entière responsabilité des difficultés éprouvées par les élèves du primaire?
    2. La montée de l’illettrisme scolaire est-elle propre au Québec? Ce n’est pas par hasard que j’ai fait allusion à la situation qui prévaut en France. L’article du Nouvel Observateur (septembre 2007) est assez probant à cet égard. Même dans le système scolaire français (un modèle à suivre, selon Christian Rioux), le problème de l’illettrisme est à ce point grave qu’il est qualifié de «catastrophe» (p.12).
    3. Les résultats aux épreuves uniques en Mathématique 436 et en Histoire (4e sec.), ont parfois été catastrophiques. Fallait-il aussitôt remettre en question les programmes concernés?
    4. La question n’est pas de savoir si les élèves d’aujourd’hui répondent mieux que ceux d’hier aux exigences des anciens programmes. On doit évaluer les élèves d’aujourd’hui en fonction des exigences d’aujourd’hui. Le Programme de formation propose-t-il une diminution du niveau des exigences? De mon poste d’observateur au secondaire, je dirais qu’au contraire le niveau a été augmenté, notamment en ce qui concerne les attentes en lecture.
    5. En admettant que l’analyse des résultats révèle des carences dans le programme de français lui-même ou dans les approches pédagogiques utilisées, n’est-il pas plus avisé de corriger ces problèmes plutôt que de remettre en question le renouveau pédagogique dans son ensemble?
    En résumé, disons que la réforme a le dos large. Le parti pris de certains observateurs les amène souvent à se satisfaire de raccourcis qui ne sont pas toujours féconds.
    M. Papineau évoque aussi les attentes qu’a suscitées la réforme. Sur ce point, je dois avouer mon embarras. Je ne sais pas qui a pu vendre la réforme comme s’il s’agissait d’une panacée. Quiconque s’est adonné à l’étude du décrochage, par exemple, sait que le problème est complexe et qu’il ne peut être résolu simplement en rénovant les modalités de transmission du savoir. Quiconque a œuvré dans le monde de l’enseignement sait que la pensée magique mène à l’impasse. Sur cette question, le MELS a des choses à se reprocher.

  13. Photo du profil de LucPapineau
    LucPapineau 13 années Il y a

    M. Trudeau,
    «Je ne sais pas qui a pu vendre la réforme comme s’il s’agissait d’une panacée.»
    Mais retournez un peu dans le temps. Cette réforme a été instituée en bonne partie pour contrer le décrochage scolaire! Le MELS et bien des hauts fonctionnaires, politiciens, pédagogues et décideurs scolaires nous ont assez cassé les oreilles là-dessus à l’époque.
    J’ai parlé de français, mais il y a aussi les sciences qui ont connu une baisse. Les sciences, une matière ou le Québec se démarquait. Les sciences, un des fers de lance de ce Renouveau. Juste de penser au fric qu’on a investi dans les nouveaux cours de science (laboratoire, etc.), moi qui ai de la difficulté à avoir des dictionnaires récents en classe, j’en rage.
    Votre point 1 montre bien la faillite de ceux qui ont mis de l’avant le Renouveau: s’assurer de sa réalisation.
    Votre point 3 oublie que le Renouveau a été mis de l’avant en insistant qu’il s’agissait d’un progrès, pas d’un recul. D’ailleurs, il visait à remplacer un système inadéquat, semble-t-il. Donc, il a l’obligation de faire mieux.
    Au point 4, je me permettrai quelques commentaires. Il y a un monde de différences entre ce que le PDF demande et ce que l’évaluation exige. On peut avoir toutes les attentes du monde… Également, de mon point de vue comme enseignant sur le terrain, en lecture, honnêtement, je ne crois pas que les jeunes soient de plus habiles lecteurs aujourd’hui. Enfin, comment comparer deux modes d’enseignement si on a changé les modes d’évaluation? C’est un peu facile… de s’en tirer ainsi.
    Je peux également ajouter qu’au niveau des connaissances grammaticales de base, les jeunes maitrisent moins bien le métalangage.

  14. Photo du profil de MichelP.Trudeau
    MichelP.Trudeau 13 années Il y a

    M. Papineau,
    Vous bien raison de déplorer les dérives qui ont marqué les premières années du renouveau pédagogique. Les attentes formulées par quelques illuminés étaient grossièrement exagérées. Heureusement que des gens plus éclairés et responsables tels que Paul Inchauspé, Pierre Lucier et Claude Corbo ont su prendre la juste mesure des défis à relever. Aujourd’hui encore, leurs écrits sur le renouveau pédagogique sont d’une pertinence remarquable.
    Quant à l’évaluation du rendement scolaire des élèves québécois, je maintiens que leur interprétation exige beaucoup de prudence. La dernière étude réalisée sur le rendement des élèves québécois de 13 ans remonte au printemps 2007. Dans cette étude (le PPCE), les élèves québécois se sont classés premiers en lecture et en mathématique et deuxièmes en sciences (tout juste derrière l’Alberta). La plupart de ces élèves font partie de la première cohorte à «subir» la réforme. S’agit-il d’une preuve que la réforme est un succès? Il faudrait être bien téméraire pour l’affirmer. Les résultats détaillés de cette étude sont disponibles sur le site de la direction de la sanction des études du MELS. La dernière étude du PISA mesurant le rendement des élèves de 15 ans a été réalisée au printemps 2009. Les résultats ne sont pas encore publiés. L’étude précédente (2006) n’évaluait pas les élèves soumis au nouveau Programme de formation.

  15. Photo du profil de JonathanLivingston
    JonathanLivingston 13 années Il y a

    J’admets être incapable d’appliquer ce programme de formation en français tel que je le lis.
    On nous demande, et c’est essentiel, dit-on, de créer des communautés d’apprentissage (c’est le devenir de ma classe) , pour développer des familles de situations, ou combinaison de familles de situations significatives, diversifiées et variées et de façon privilégiée dans dans les domaines généraux de formation (environnement, santé, et bien-être, environnement et consommation, médias, vivre-ensemble et citoyenneté) en me demandant, bien sûr, quel sera l’apport dans nos démarches des compétences transversales (présentes dans tous les domaines, mais qu’on a dû mal à cerner tout de même, si je me fis encore au dernière évaluation de juin dernier!) dont je vous épargne l’énumération de 9 items.
    « Pour développer ses compétences en français, l’élève est placé dans des contextes riches où langue française et culture (je ne suis plus juste prof de français, on dirait) sont continuellement sollicitées. » PDF, p.88.
    Je dois faire tout cela en plus en proposant des tâches diversifiées (aux élèves) et accueillir leurs suggestions. « Ainsi, chaque élève a la possibilité de faire des apprentissages signifiants et de progresser en réalisant des projets à sa mesure » PDF, p.90
    Et le travail sur la langue? On la subordonne toujours aux contextes signifiantx:
     » Lorsque des temps d’arrêts (car attachez votre tuque pour le reste!) sont nécessaires pour aborder un nombre limité (limité!) d’éléments bien (bien!) ciblés, l’enseignant propose à l’élève des activités décontextualisées où certains (certains) éléments d’apprentissage sont mis en relief. (…) L’enseignant veille à ce que l’élève perçoive le lien étroit qui existe entre ces activités et les situations contextualisées. » PDF (p.92)
    Puis on remplit cette page pour bien nous faire croire en l’importance de faire de la grammaire pour le PDF, surtout avec la terminologie de la nouvelle grammaire de 1995 qui est reconduite. « Cela signifie qu’une attention particulière est accordée à la dimension syntaxique et que la langue – abordée allant du texte à la phrase, de la phrase aux groupes de mots, puis de groupes de mots aux mots (expliquez-moi, je ne comprends pas cette logique tordue) – est vue comme un ensemble de systèmes (…). PDF, p.92.
    Et moi, je dois « en tout temps (vraiment…) », « pouvoir répondre aux questions de l’élève: «Pourquoi faut-il se documenter? A quoi sert le schéma narratif (Etc.). En tout temps, l’élève doit pouvoir se dire: «Je rédige (…) pour… (avoir la raison, le sens net dans sa tête de ce qu’il fait)». (Remarquez: la dictature du sens obligatoire remplace l’instruction obligatoire!)
    « Attentif aux besoins et au champs d’intérêt des élèves, l’enseignant de français est l’entraineur qui leur propose des situations stimulantes et exigeantes ». De plus, je suis ou doit être ou essayé d’être ou faire semblant si je n’y arrive pas, tout en restant crédible (j’anticipe…):
    Expert: qui cible les apprentissages à faire;
    Guide: pour faire les liens avec le primaire et aider le pichou à systématiser ses nouvelles connaissances;
    Médiateur: vers l’autonomie, la conscience des démarches et un regard critique sur elles;
    Un passeur (oui, oui, Siddharta?) culturel qui fait découvrir des œuvres, fait vivre des expériences culturelles et reconnaître l’apport de la culture dans la vie du jeune;
    Un modèle linguistique et culturelle (plait-il?) crédible (on doit me cru!)
    Animateur: pour favoriser le partage d’idée et le travail coopératif dans une classe devenue communauté d’apprentissage dont je suis (une chance) le membre influent (la tête? j’ai un peu le tournis). PDF, p.93.
    Ah oui, je suis souteneur d’apprentissage aussi: je questionne, j’observe, je demande au jeune d’expliquer ses démarches x 100 élèves ou 120…
    Je commente en précisant ce ui peut être amélioré (finie la correction, youppi!)
    Je guide l’élève pour son port-folio et son répertoire diversifié d’œuvres littéraires (qu’ils ne perdront pas, c’est sûr) x 120 ou 90-100.
    Je lui demande des autoévaluations pour voir si mes évaluations sont raisonnables (je blague, mais ça ressemble à cela). Je discute avec lui pour l’encourager à réfléchir ses démarches x 90-100 ou 120-130.
    Et enfin, j’évalue les compétences… ( PDF, p.93)
    J’ai mon diplôme obtenu avec de très bons résultats, j’aurais même celui de psychologie pour comprendre la psycho cognitive, mais franchement à suivre le niveau cognitif dans lequel je dois travailler avec les élèves, je vais devoir conscientiser pas mal de processus qui m’apparaissent une dictature de la manière de travailler, tout en conscience tout le temps. Moi, je devrais connaître tout et trouver le temps de discuter avec tous de démarches.
    Ce programme est résolument toujours socio-constructiviste axé prioritairement sur la pédagogie de projet et subordonne les connaissances à des expériences significatives que l’on comprend prioritaire pour garder la motivation des élèves.
    Franchement, cette pédagogie n’a pas été démontrée applicable. On n’a pas plus montré à quel résultat, il mène et, franchement, je ne l’applique pas. J’attends qu’on me demande un travail raisonnable à hauteur des élèves pour attendre des objectifs raisonnables. En attendant, je fais lire et comprendre, je fais écrire, réagir et j’enseigne le fonctionnement de la langue. Et parce que j’y suis bien obligé, j’évalue des oraux, bien qu’on ne m’ait jamais formé comme expert en la matière.
    Je ne crois pas qu’un port-folio ni un répertoire de machin culturelle fera de meilleurs êtres humains de nos jeunes. Pourquoi aller à ces niveaux d’exigences irréalistes? Je me demande toujours où est la tête des concepteurs de programme. On pourrait avoir des surprise!
    L’École n’est pas les scouts du vendredi soir où l’on a 3 animateurs pour 12 jeunes… A 30-35 jeunes de calibres fort différents par communauté d’apprentissage (classe), ces objectifs irréalistes ne peuvent être atteints dans le cadre d’enseignement de masse. On ne peut demander à des humains raisonnables de tenir longtemps dans ce genre de leurre en plus inefficace selon la plupart des indicateurs d’évaluations depuis presque 50 ans maintenant.
    Voilà donc pourquoi je crois que Baillargeon a de bonnes raisons de nous alarmer sur les défauts conceptuelles majeures de cette réforme et sur ces monstrueux programmes.
    Il faut se mobiliser pour changer ces programmes qui visent un niveau maîtrise que même des adultes auraient du mal à suivre, que je ne prétends pas avoir à titre d’enseignants de français formés et que je mets au défi quiconque d’attendre un jour.
    Pourtant, j’en connais un vaste bout sur le domaine!
    Bref, je résiste comme tant d’autres… et souhaite rien de moins qu’on jette le programme pour en rebâtir un sensé qui visent l’atteinte de comportement précis et justifiable d’un niveau digne d’un enseignement de base, pas d’une maîtrise en études françaises.
    Quant au décrochage, j’ai une amie roumaine ici, qui dit que personne ne décroche dans son pays et, vous savez quoi, il n’y avait pas de pédagogie de projet, pas de stratégie whole langage et tout le monde savait lire et écrire sans faute. On apprenait la grammaire à l’ancienne. On valorisait les études et le travail. On voulait sa place aux études. On devait travailler, pas savoir toujours à quoi cela servait… Elle ne regrette pas son éducation, même si elle aurait aimé des fois plus liberté…

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