Malaise? Les gens qui aident Haïti veulent qu’on sache qu’ils aident

Le phénomène n’est pas exclusif aux «blogueurs vedettes» ou aux «journalistes transmédias». Des pays, des grands groupes médias, des journalistes et des organismes humanitaires se forgent «un capital» de sympathie par leurs actions auprès des Haïtiens suite à la catastrophe qui sévit depuis mardi soir en Haïti. Et je ne parle pas des politiciens qui sont habitués à ce genre de manoeuvre. En écrivant ici sur ce sujet, je tombe peut-être dans le «même piège»!
En fin d’après-midi aujourd’hui, Fabrice de Pierrebourg (journaliste en lock-out du Journal de Montréal) rendait compte de ce malaise dans un gazouillis:

«Ne me dites pas que certains pays veulent garder Haïti pour eux : Médecins Sans Frontières empêché d’atterrir à Port-au-Prince.»

Il y aurait tellement d’exemples pour illustrer ce qui crée souvent une certaine confusion dans les intentions des gens qui rivalisent de prouesses, actuellement, en Haïti. Un avion français transportant un hôpital de campagne aurait été refoulé par ceux qui auraient pris le contrôle de l’aéroport… les Américains (U.S.A.)!

Plus proche de moi, à l’échelle d’Internet et de notre communauté «d’internautes patentés», il y a aussi de ces petits malaises qui n’en sont probablement pas. «Consacré» par le Journal de Montréal «journaliste Internet», Pierre Côté vit des heures «de gloire» actuellement, en quelque sorte, ayant été cité par France Info et le blogue du New York Times (Update | 11:26 a.m.), entre autres. Pourrait-on lui reprocher par son approche originale – et efficace? – d’augmenter la valeur de «son brand» parce que ses démarches portent certains fruits inusités?

Moi-même hier, dans mon billet où je réfléchissais sur certains aspects de la catastrophe humanitaire, j’ai «échappé» une petite pointe vers Michelle Blanc, blogueuse reconnue s’il en est une, parce que je trouvais que l’ajout du mot «primeur» au titre de son billet était de trop. Elle est loin d’être la seule à agir ainsi, plusieurs médias traditionnels nous balancent «de la primeur» à tout bout de champs… Dans un autre billet aujourd’hui, Michelle apporte un témoignage éloquent d’une internaute sur «la valeur» de ses efforts de relayeuse et ajoute, d’ailleurs, au passage, des fleurs pour Pierre Côté et sa couverture en temps réel, la plupart du temps.

Sur Twitter hier, je faisais l’hypothèse que «ceux qui exagèrent et en profite pour se mettre en scène» peuvent déranger, certes, mais doit-on les «blâmer» pour autant? La pression est forte chez nous en ce moment pour inciter chacun à faire sa part. Et plus… Les dirigeants le ressentent et ils tentent d’en mettre plein la vue aux citoyens à travers la couverture médias pour être à la hauteur. Comment ne pas «entrer» soi-même dans cette danse du qui-va-aider-plus-que-son-beau-frère? Nous devrions tous nous concentrer sur l’aide concrète et les dons en argent, bien entendu.

Je répondais au même Fabrice cette après-midi que tous les pays veulent «montrer» qu’ils font beaucoup… qu’ils aident plus que les autres. Cette attitude de se mettre en scène en tant que collectivité ne serait-elle pas le reflet – ou la réponse – de ce que certains citoyens exigent par la pression qu’ils mettent dans tous les lieux formels et informels?

Tout ça pour dire que discuter de ce «malaise» n’enlève rien aux mérites de ces innovateurs qui défrichent par leur seule action («de l’endroit où ils sont» pour paraphraser Michelle comme elle l’écrit dans un autre billet). Ces pays – et ces individus – qui s’affirment et qui «savent» se mettre en scène n’ont pas nécessairement plus de mérites que les autres, mais force est d’admettre que l’important reste que l’aide se rende à bon port. Je pense à Emmanuelle Latraverse, entre autres. Elle blogue aujourd’hui (elle «profite» de son affectation pour faire l’expérience du carnet Web alors qu’elle fait déjà beaucoup à la télévision et à la radio) à propos de Magalie Marcelin qu’elle nous fait découvrir en tant qu’héroïne de la cause de la défense des droits des femmes et plus… Mme Latraverse fait un travail incroyable tout comme bien des journalistes qui couvrent l’après-séisme. Je fais le pari qu’il y aura quelqu’un pour dire qu’elle se met trop en valeur d’ici quelques jours… Pourtant, Mme Latraverse, Jean-François Bélanger, Akli Aït Abdallah ou Frédéric Nicoloff (ce sont les noms qui me viennent en tête) sont essentiels dans cette grande chaîne d’humanité que nous devons construire pour «refonder» une Haïti post tremblement de terre. Blâmera-t-on Ivanhoe Demers d’être devenu le célèbre photographe de la fameuse photo qui fera la une de bien des magazines?

Si Michelle, Pierre, (ajoutons Richard Latendresse qui subie lui aussi quelques critiques sur ce sujet) ou tout autre relayeur d’information augmentent «leur capital» de notoriété par leurs contributions doit-on douter du bien-fondé de leurs intentions pour autant?

Personnellement, je vais tenter de faire un peu plus attention avant de lancer la pierre à qui que ce soit sur ce sujet. Si Internet et les réseaux sociaux, dans les derniers jours, ont montré aux derniers sceptiques qui restaient à convaincre qu’ils étaient devenus des outils de première nécessité, nous avons tous à réfléchir sur nos comportements à partir de ce qu’on exige de soi et des autres, avant de les critiquer.

En terminant, je voudrais citer deux bonnes références sur la présente couverture médias:

  • François Bugingo de Reporters sans frontières, donne de bien belles explications sur le thème «Journalisme vs Sensationalisme» (source)
  • «De la couverture en Haïti et du métier, les réflexions lucides de Frédéric Nicoloff (SRC-RADIO, de la minute 2:30 à 14:30 min)», du fait de ne pas «que raconter» les événements, mais aussi, « de les vivre» (source)

    Mise à jour de fin de soirée: Le texte de Paul Cauchon au Devoir, «Haïti, le défi médiatique», porte en partie sur le sujet de ce billet!

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    7 Commentaires
    1. Photo du profil de Marc-AndreCaron
      Marc-AndreCaron 13 années Il y a

      La même réflexion m’a sauté au visage cette après-midi.
      Je veux aider et j’offre ce que je peux faire de mieux: conter des histoires! Alors, j’organise une soirée de contes dont les profits seront remis à un organisme venant en aide aux Haïtiens.
      Mais voilà, j’organise un spectacle, donc, je me «fait voir» (moi et d’autres). En venant en aide à mon prochain, je me fais de la publicité et je fais connaître le conte (art négligé par les médias et méconnu du public). Est-ce mal?
      La réponse est oui SI je le fais d’abord et avant tout pour moi-même, mais non SI ma réelle motivation est de rassembler des gens afin d’en aider d’autres. Que des journalistes se fassent connaître et reconnaître parce qu’ils font bien leur travail me semble une bonne chose.
      Lorsque l’on n’est pas là pour les bonnes raisons, cela fini par se voir, cela fini par se savoir, et toute l’attention positive que l’on en a tirée est éphémère ou se retourne contre nous.
      J’écris cela, mais ma réflexion n’est pas terminée. Toujours est-il que j’ai l’intention d’aider… et c’est ça qui compte. Bravo à tous ceux qui aident, sous la lumière des médias ou dans l’ombre.

    2. Photo du profil de Alex
      Alex 13 années Il y a

      J’ai ressenti un malaise également lorsque les gens ont commencé à dévoiler le montant qu’ils ont donné à tel ou tel organisme. J’ai vu ça passer sur plusieurs outils des réseaux sociaux. J’ai écrit sur Twitter que je trouvais que l’on dérapait un peu avec autant de transparence. Publier le montant contribue à culpabiliser les autres et à en faire un concours de-celui-qui-est-le-plus-généreux.
      À qui et combien j’ai donné pour Haïti ne regarde que moi et mon comptable lorsqu’il fera mes impôts.
      Inciter les gens à donner, c’est une chose. Les culpabiliser —par la bande— parce qu’ils donnent moins ou les inciter à donner davantage que ce que leur portefeuille leur permet, je trouve ça dommage.
      On ne peut évidemment pas être contre la vertu et la charité mais on peut facilement tomber dans le cynisme et se demander si la bonté est comme la culture pour certains… Moins on en a, plus on l’étend?
      Donner aux gens dans le besoin, c’est vraiment bien quand ça vient avec une bonne dose d’humilité à mon avis. Pas besoin d’en faire une opération de relations publiques pour sa marque personnelle.

    3. Photo du profil de Genevieve
      Genevieve 13 années Il y a

      Oui, François Bugingo a l’habitude d’avoir des réflexions intelligentes, senties et posées.
      Beau billet, Mario. Se poser des questions, ce n’est pas obligatoirement « blâmer »… Alors pourquoi ne pas se les poser? D’un coup qu’on se coucherait moins niaiseux… 🙂

    4. Photo du profil de MichelMonette
      MichelMonette 13 années Il y a

      Je pense qu’il y a confusion: le rôle des journalistes est de rapporter l’information la plus juste et impartiale possible. Je ne leur reprocherai jamais d’avoir des moments d’émotion mais je leur reprocherais certainement de manquer à leur devoir de journaliste. Pour les autres, je ne me soucie guère de leur motivation. L’important est de savoir s’ils aident ou s’ils nuisent. Mon seul problème en ce moment est qu’on manque cruellement d’analyses critiques. Va-t-on encore une fois assister à un détournement de l’aide vers les classes les plus aisées d’Haïti comme le craint le Washington post?

    5. Photo du profil de HeleneNoreau
      HeleneNoreau 13 années Il y a

      Les gens qui aident Haïti veulent qu’on sache qu’ils aident.
      Et bien pour ma part, s’ils ont ce besoin là, tant pis pour eux. Je pense que cet état d’être est signe de faiblesse provenant d’un besoin de bien paraître.
      Mais si ce contexte fait que plus de personnes donnent, alors tant mieux pour les sinistrés. Cela ne me dérange aucunement. L’important est que l’aide se rende, et qu’elle soit apportée correctement et également à tous dans la mesure du possible.

    6. Photo du profil de LucPapineau
      LucPapineau 13 années Il y a

      La surenchère actuelle risque surtout de masquer certains problèmes importants de la dynamique haitienne et de causer une écoeurantite chez plusieurs à force d’entendre parler de dons tous les jours sans arrêt.
      S’il y a eu les bébés phoques, là, certains ont les Haïtiens. Ils se donnent bonne conscience, ils envoient des sous. Voulez-vous me dire le lien entre le baseball majeur qui envoie 1 million $ et Haiti?
      Depuis des dizaines d’années, Haïti n’a aucune ressource naturelle ni industrie qui permet de générer une richesse et une classe moyenne. Cette partie de l’île d’Hispaniola a été littéralement scalpée, appauvrie par des gens et ont été rendus à faire des galettes de boue et de riz pour survivre pendant qu’une mince caste, corrompue et égoïste, roule en BMW et en Audi.
      Les Haïtiens, pour s’en sortir, sont traités comme de véritables esclaves dans les champs de canne à sucre en République dominicaine sans qu’on s’en émeuve.
      Comment expliquer l’état extrême de pauvreté de Haïti sinon que certains détournent l’aide internationale et le peu que possède encore ce pays.
      La catastrophe, en Haïti, n’est pas ce tremblement de terre. Tokyo en a subi des semblables par le passé sans de conséquences aussi graves. La catastrophe, c’est l’état de pauvreté endémique et malheureusement perpétuel dans lequel ce pays se maintient depuis si longtemps. Les immeubles se sont écroulés parce qu’ils étaient construits avec des moyens de fortune. L’aide internationale a de la difficulté à se rendre un peu partout dans l’île parce que le réseau routier est plus que lamentable depuis des années. Refaire des routes et des infrastructures ne changera rien à moyen et long terme.
      Un plan «Marshall» pour Haïti? Au plus vite! Donnez des sous, d’accord. Mais à quand une campagne pour demander à nos politiciens d’avoir une vision à plus long terme pour ce pays, car les élites en place de celui-ci ne semblent avoir ni l’envie ni les capacités de le faire?

    7. Photo du profil de PascaleSoucy
      PascaleSoucy 13 années Il y a

      Le malaise que je ressens n’est pas celui décrit dans ce billet.
      Je suis d’accord avec le commentaire d’Hélène Noreau. Si partager avec tous le fait de donner encourage d’autres personnes à donner aussi, alors tant mieux! Personnellement, cela ne me dérange aucunement.
      Ce qui me dérange profondément, c’est de lire un peu partout que l’aide se rend difficilement aux sinistrés. Nous sommes démunis face à la misère de ces gens. Nous sommes loin. La plupart d’entre nous ne pouvons que donner, en parler et espérer que les organismes à qui nous donnons seront en mesure de vraiment secourir les gens.
      Mais la question demeure : est-ce que l’argent que nous envoyons servira vraiment à aider ceux qui en ont besoin là-bas?

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