Apprendre à séparer le monde des loisirs de celui de l’école

Il me semble que ce soit légitime d’exiger des étudiants en classe un climat propice au travail, à l’effort intellectuel et à la concentration. Dans cet article paru hier au Journal Le Monde.fr, «Bannissons les portables de l’école !», on va jusqu’à prétendre que «l’hédonisme de nos sociétés» serait une sorte d’obstacle pour l’école…

«Toutes les équipes pédagogiques le réclament. Nos enfants doivent apprendre à séparer le monde des loisirs de celui de l’école. Lorsqu’ils arrivent avec les copains dans une poche, les loisirs dans l’autre, quelle disponibilité d’esprit auront-ils en tête ? Les valeurs dont l’école a besoin pour que les élèves progressent sont à l’opposé de celles qu’ils acquièrent avec ces objets.»

Le téléphone portable est-il un de ces objets empreints de cet indomptable hédonisme dont plusieurs enseignants ne souffrent plus la présence? Cette question est plus complexe que celle de la séparation du monde des loisirs et de celui de l’école. Au travail par exemple, on admettra facilement que tout comme à l’école, on ait besoin d’un climat propice à l’effort intellectuel et à la concentration. Un milieu de travail qui s’apparente à un camp de vacances, plusieurs en rêvent (et ils sont adultes), mais chacun sait que pour être productif, il y a un minimum de distance à établir avec l’atmosphère du loisir. Au travail, la tâche à accomplir est souvent prescriptive et ne tolère bien peu la procrastination et la remise à plus tard. Alors qu’en matière de loisirs, «on fait ce qu’on veut» quand «on le veut» et pendant «le temps que ça nous plaît», le travail qui nous occupe exige beaucoup plus de rigueur et de renoncement. Sur ce point, l’école et le travail se rejoignent, il me semble…

Je sentais le besoin de comparer «milieu de travail» et «milieu scolaire», même si je sais qu’ils n’ont peut-être pas tout en commun. On peut au moins s’entendre sur le fait que ni l’un ni l’autre ne rassemble les caractéristiques de la société des loisirs?

On me voit venir j’imagine… penserait-on à bannir le téléphone portable de tous les milieux de travail? Si on ne peut pas répondre «non» pour tous les types d’emplois, il demeure que ce genre d’objet n’est pas étiqueté «loisir» à 100%. Je dirais même que pour plusieurs adultes, le moment du loisir commence au moment de l’éteindre au terme d’une journée de travail bien rempli… C’est sous ce regard recontextualisé que je nous invite à réfléchir sur l’utilité – ou non – du portable. Au commentaire #1 de ce billet, un enseignant me demandait «Que faire avec le cellulaire?» dans ce contexte d’encadrement des TIC et je n’ai que très peu de réponses à offrir. Spontanément, je lui ai fait parvenir par Twitter les coordonnées de ce billet de François Guité parce que je trouve qu’il a le mérite de regarder si le téléphone portable ne pourrait pas avoir plus de vertus éducatives qu’on ne pourrait le croire à première vue. Par contre, je suis assez certain d’une chose; dans une approche «top-down», plutôt magistrale, je ne vois pas en quoi un téléphone (même s’il peut parfois devenir un ordinateur) peut s’avérer utile, si ce n’est pour enregistrer celui qui parle. Il devient source de distractions plus souvent qu’autrement et c’est probablement pourquoi autant d’enseignants sont entrés en guerre contre cet objet hédoniste… il entre en compétition avec l’enseignant pour l’attention et trop souvent, il gagne!

On peut éliminer «la compétition», c’est un truc vieux comme le monde. Si le pourcentage de temps où on veut avoir 100% de l’attention de quelqu’un est élevé, le téléphone portable, comme bien d’autres dispositifs électroniques, est à proscrire. Comme tout ce qui cause du bruit dans la classe, ces objets représentent une distraction et je comprends bien qu’ils n’aient pas du tout à faire à l’école.

Si je suis totalement d’accord avec le fait de séparer le monde des loisirs et celui de l’école, je ne suis pas d’accord, à moyen terme, avec l’étiquette «objet du loisir» accolée au téléphone portable. Je regarde comment le «paradigme du iPhone» a introduit une toute autre vision à «l’objet téléphone» et je me dis qu’avec l’évolution des approches pédagogiques dans la diversité, sans monopole ni des «très ouvertes», ni des «très fermés», le téléphone portable a un avenir dans plusieurs écoles. Je connais plusieurs profs qui sont en train d’apprendre à composer avec eux, essayant de mieux gérer la fonction loisir de l’objet pour laisser la pleine mesure aux fonctions «travail». En apprentissage, au moment de faire des recherches, dans un monde mieux en mieux réseauté, il me paraît difficile d’exclure un des outils ayant le plus fort potentiel pour résoudre l’équation de l’accès à bas prix aux réseaux et à la communication à haut-débit. Et si le téléphone portable faisait davantage partie des solutions que des problèmes? Et si le crayon de demain qui est souvent l’ordinateur d’aujourd’hui pouvait aussi devenir source d’attention au travail bien fait plutôt que de ne représenter qu’occasions d’être dérangé inutilement?

N.B. Au moment de poster ce billet, un gazouillis de François Guité vient peut-être recadrer mon propos: «L’école est un appareil d’enseignement de masses; l’ordinateur, un appareil d’apprentissage personnel.»

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6 Commentaires
  1. Photo du profil de FrancoisGuite
    FrancoisGuite 13 années Il y a

    Tiens, on pourrai inviter M. Nouis à Clair2010 😉
    Ou l’inviter à visionner cette vidéo :
    http://www.youtube.com/watch?v=68KgAcx_9jU

  2. Photo du profil de LucPapineau
    LucPapineau 13 années Il y a

    Pour l’instant, on met un peu la charrue avant les boeufs. Le portable est un objet de consommation qui permet à un jeune de communiquer avec son réseau social. Point.
    La fonction «travail» du portable est bien loin de leurs préoccupations. Et encore faut-il que le portable en question ait des caractéristiques techniques qui permettent une utilisation reliée au travail.

  3. florence meichel 13 années Il y a

    En te lisant je me dis aussi que les élèves sont tentés de faire usage de leur portable à d’autres fins que le cours…quand le prof et le cours leur semblent présenter bien peu d’intérêts ?
    Je me dis que cette situation est à appréhender sur le plan systèmique : l’usage du portable me semble devoir être considéré comme une conséquence plutôt que comme une cause ?

  4. Photo du profil de SylvainB
    SylvainB 13 années Il y a

    Intéressant billet que voilà ! On parlait l’autre jour de l’inefficacité flagrante des messages audio diffusé à l’archaïque intercom… J’ai bêtement suggéré de diffuser les messages via SMS, ce qui fut bien sûr interprété comme une immense joke, l’objet vibrant ou sonnant étant formellement interdit d’usage pas seulement dans les classes, mais dans l’enceinte de l’école au complet. (sauf peut-être dans certains bureaux ;-))
    Je compare les échanges « parasites » sur les cellulaires à nos bons vieux échanges de messages papier de l’époque, quand le cours « était plate »… Sur papier ? Me rappelle très bien qu’en sec. 5, j’avais élaboré une sorte d’alphabet codé sur ma calculatrice programmable Sharp EL-5103 ( http://www.voidware.com/calcs/el5103.htm ) et sur laquelle calculatrice on échangeait des messages du même style que ceux papier… Préhistoire des SMS ? Probablement 😉
    Le « problème » avec les échanges SMS pendant les cours sont souvent une question d’encadrement aussi. Les papiers de l’époque étaient bien plus faciles à saisir, tout simplement.
    Il existe des cours où les échanges de papier n’ont pas lieu. Ces cours sont alors plus intéressants que la moyenne, la tâche à accomplir est bien définie, complexe, et nécessite beaucoup de ressources étudiantes et les élèves sont « motivés » à la mener à terme.
    La solution serait-elle là ? Peu importe l’outil utilisé ?

  5. Photo du profil de SylvainB
    SylvainB 13 années Il y a

    Un autre problème à souligner est le « faible coût » qui est loin d’être si faible que ça pour tout appareil mobile à accès web, pour l’instant… Ce sont loin d’être tous les élèves qui possèdent un Touch ou un iPhone. Plusieurs sont encore aux petits iPod sans wifi avec musique et images seulement. Mais on s’entend pour dire que ça va aller en s’amenuisant, sauf pour certains. Que faire alors ? Une double fracture numérique ?…

  6. Photo du profil de JeanDore
    JeanDore 13 années Il y a

    Me voilà un peu mieux éclairé…Dans le contexte de la classe, il dérange…pour l’instant…le débat deviendra bientôt intéressant…merci de toujours éclairer ma lanterne 😀

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