Ridicule. Dangereux. Évident.

Il s’agit d’une journée ordinaire du début janvier où les fêtes de famille et les rassemblements entre amis sont terminés. Après un levé tardif, le verre de jus d’orange, le café et la lecture de ma revue de presse, j’ouvre Facebook. L’algorithme me rappelle ce qui m’a occupé quelques minutes le 5 janvier 2017…

Sans avoir partagé cette publication, je reçois des notifications pour m’indiquer que d’autres membres de mon réseau semblent avoir été informés du même souvenir qui date d’un an aujourd’hui.

J’en ai eu pour le reste de la journée…

J’avais conservé en signet le livre blanc du président et chef de la direction du Groupe Média TFO qui était présent hier en ondes lors d’un échange très intéressant qui portait sur la citoyenneté numérique au micro de ICI Radio-Canada.

Je me doutais qu’un des tableaux qu’il contenait me permettrait de répondre à un des commentaires reçus, qui me demandait « On est rendu à combien là ? ».

Je le lui ai « posté », ne me doutant pas que je déclencherais une réaction en chaîne qui me captiverait pour plusieurs heures.

Je suis retourné lire le billet écrit le jour même l’an dernier pour me fournir du contexte sur ce qui m’a occupé voilà un an pile et je m’apprêtais à passer à autre chose quand mon copain Christophe Batier est arrivé avec des références toutes aussi pertinentes (1, 2, 3), l’une que l’autre.

Une capsule vidéo a particulièrement retenu mon attention…

Une phrase du physicien et philosophe Étienne Klein m’a réellement fait sursauter: « Il faut innover pour que rien ne change »!

L’écoute de la vidéo de seulement trois minutes trente huit secondes vous expliquera le sens du raisonnement, mais, jumelées aux autres références de Christophe et aux interrogations posées en message privé par un internaute d’outre-mer, j’ai été conduit vers une autre conférence, celle-ci beaucoup plus longue, de Idriss Aberkane, un professeur français qui a développé le concept de l’économie de la connaissance.

Le titre de mon billet d’aujourd’hui m’a été inspiré par cette conférence de Idriss Aberkane, même si dans les faits, la citation exacte qui m’a profondément secoué vient du philosophe allemand Arthur Schopenhauer (1788 – 1860):

« Toute vérité franchit trois étapes. D’abord elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant toujours été une évidence. »

Ça m’explique pourquoi les idées derrière l’image de départ de ce billet sont aussi contestées.

Il y a tellement d’autres situations de nouveautés qui passent par ce cycle.

Je lisais Clément cet après-midi qui semble occuper ses journées à réfléchir, lui également, et je me disais que Mathieu Bock-Coté et Christian Rioux représentent bien les intervenants qui trouvent « ridicule » un phénomène qui un jour atteindra le stade de l’évidence.

La présence du numérique et la puissance des réseaux en 2018 sont souvent perçus comme ridicules ou dangereuses. Nous sommes loin du stade de l’évidence.

Un compte-rendu de la conférence de Idriss Aberkane à la 68ème rencontre du CERA du vendredi 27 mars 2015 portant sur l’économie de la connaissance permet de s’approprier plus doucement les éléments les plus percutants de sa présentation qui touchent l’éducation. Je pense à cet extrait, en particulier:

« Je vais utiliser une métaphore pour parler de la connaissance à l’école. Imaginez que vous vous trouvez dans un hôtel 5 étoiles, devant un buffet exceptionnel à volonté. C’est le paradis! Imaginez maintenant que le maître d’hôtel vous intime l’ordre de tout manger en 1 heure. Chaque assiette laissée pleine sera portée sur l’addition. Vous entrez en enfer! Le buffet n’a pas changé, le contenu n’a pas changé, ce sont les règles du jeu qui ont changé. Transformer le travail en jeu est également une question de changement de règles. Vous pensez que cette histoire de buffet ne vous est évidemment pas arrivée… et bien vous vous trompez… vous avez connu ces circonstances 1 700 jours minimum dans votre vie. À l’école, vous êtes noté sur ce que vous avez laissé. Si vous avez tout mangé, vous avez 20, ce que vous avez laissé a diminué vos notes. À l’école, vous disposez d’un magnifique buffet de connaissances mais on se moque de votre appétit. Ce qui évidemment dessert les enfants qui ont moins d’appétit. Ceux-ci ont immédiatement une crise de foie et sont dégoûté [sic] pour longtemps. »

Actuellement, la résistance aux nécessaires changements à faire dans le système de l’éducation – dont le modèle est calqué sur l’ère industrielle – est énorme. Un des postulats du prof Aberkane – « À chaque fois que l’on veut enseigner quelque chose, il faut d’abord donner aux étudiants envie d’apprendre » – représente bien une sorte de dogme contre lequel on se bat: il faut souffrir pour qu’il y ait apprentissage. Nous sommes encore en présence d’une grande majorité d’intervenants qui croient dur comme fer que « plaisir » rime avec « divertissement » en éducation.

Le débat sur l’utilité des téléphones multifonctions, celui sur la pertinence des tablettes ou des ordinateurs en classe est souvent perçu comme futile.

Comme dans cet article du Devoir cité par Clément ou le livre numérique est présenté comme « une simple mode ».

L’année 2018: l’année de l’évidence du numérique en éducation ?

Idriss Aberkane l’explique bien dans son intervention : il faudra plus d’attention et plus de temps pour comprendre l’importance de l’avénement de l’économie de la connaissance qui « est associée à un statut social »… ce qui signifie que plusieurs personnes « veulent la complexifier à dessein pour justifier et défendre leur statut d’expert ».

Tout comme l’expliquait Michel Cartier sur son site 21siecle.quebec pour ce qui est de l’économie de l’attention, « la capacité à comprendre est plus importante que ce que l’on croyait ».

L’équation de Aberkane (qui semble être de fait celle de Beck & Davenport selon Cartier) est au coeur de ce qu’il faudra considérer: « Le flux de connaissance est proportionnel à l’attention multipliée par le temps ».

Un passage de l’intervention de Idriss Aberkane sur le rôle de l’échec dans l’innovation (rappelons-nous ce que Étienne Klein disait de l’innovation et du progrès) est particulièrement savoureux:

« Steve Jobs, rencontrant François Mitterrand, lui avait demandé pourquoi les Français n’avaient pas de Silicon Valley en France. Il pensait que notre manque d’initiatives tenait de notre incapacité à supporter l’échec. Une psychologue américaine explique de la façon suivante nos deux types de réactions : lorsqu’un enfant tombe d’une échelle, la mère américaine lui dit « c’est très bien, tu as essayé », et la mère française « tu vois bien, je t’avais prévenu »… Aux Etats-Unis, vous mentionnez sur votre CV que vous avez créé une entreprise qui a échoué. En France, vous dites que vous avez pris une année sabbatique… Nous avons une aversion récente à l’échec, qui date des deux dernières guerres. Sans doute est-on devenu frileux vis-à-vis des risques au regard du taux de destruction qui a découlé de ces périodes. Cette aversion n’existait pas du tout du temps de Jules Verne. Il n’y a pas de secret, les boîtes innovantes progressent grâce à l’essai/erreur. »

Il s’agirait donc de mieux comprendre (et de mieux supporter) le rôle de l’échec dans l’apprentissage ?

Pour que l’économie de la connaissance prenne le dessus de l’économie traditionnelle, certaines autres évidences devront aussi nous rattraper:

« Nous sommes complètement plongés dans l’économie de la connaissance en Corée du Sud qui a un ministère de l’économie de la connaissance autonome, régalien, indépendant des finances et de l’industrie. C’est dire s’ils prennent cette question au sérieux. Aujourd’hui, la Corée du Sud exporte plus que la Fédération de Russie. 20%, soit 100 milliards de plus chaque année. Avec 3 fois moins d’habitants et 171% fois moins de territoires. La Russie a beaucoup de matières premières. Les Coréens n’ont rien sur le plan minier et très peu de ressources halieutiques, mais ils nous vendent des écrans LCD, des tablettes et des Smartphone Samsung, des voitures, des moteurs de bateau et des bateaux entiers. Ils sont passés d’un PIB par habitant qui était celui de la Somalie en 1957, à un PIB par habitant supérieur à celui de la France aujourd’hui. Le niveau de vie du Coréen a dépassé celui du Français, grâce à l’économie de la connaissance. »

Où ai-je déjà entendu ça, « Lâchez le Plan Nord, je veux un Plan Nerd » ?

Ah oui, ici, en 2014.

Probablement une autre de ces fois où cela a été perçu comme étant « ridicule » ou « dangereux ».

L’année 2018 devra être celle du temps et de l’attention. Passage obligé vers le statut d’évidence pour le numérique en éducation et l’économie de la connaissance en société!

Je me souhaite bonne soirée, j’ai eu une grosse journée de vacances aujourd’hui.

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