Une semaine après l’attentat de Québec

Je me suis imposé le devoir de ne pas écrire pendant la semaine qui a suivi l’attentat meurtrier à la mosquée de Québec où six personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées, dont certaines gravement. Hormis quelques gazouillis qui ont parfois témoigné de mes états d’âme, je me suis gardé de discuter en public des réflexions qui me sont venues cette semaine.

On ne se remet pas vraiment d’une semaine comme celle vécue à Québec au bout de sept jours. Il faudra beaucoup de temps avant d’y voir plus clair, d’autant que notre capitale s’inscrit maintenant dans la liste des villes touchées par le terrorisme. Six personnes ont été tuées par un semeur de terreur parce qu’elles étaient regroupés dans un lieu de culte musulman. Si d’une certaine façon on peut parler de la tuerie de Québec comme d’un incident isolé, d’une autre on doit nommer le contexte des nombreux attentats partout à travers le monde qui font partie du paysage, donc de ce qui peut influencer l’interprétation donnée à ce qui vient de se passer chez nous.

D’abord, j’offre mes sincères condoléances aux parents et amis des victimes. J’offre aussi mes meilleures pensées et mon soutien à Amira Boulmerka (directrice) et à toute la communauté éducative de l’École de l’Excellence à Québec que je connais pour être allé à leur rencontre à quelques reprises. Je sais que la semaine a dû être terrible en terme d’émotion.

Déjà que la peur d’être ciblé en tant que lieu musulman qui regroupe des enfants existait, je souhaite que la direction, les enseignants et les familles se sentent moins isolés maintenant qu’ils pouvaient se sentir auparavant.

J’ai cherché toute la semaine à mieux comprendre comment se sentaient les Québécois de confession musulmane avant l’attentat et franchement, j’ai constaté qu’il y avait de tout. J’ai entendu des gens dire qu’ils se sentaient très bien intégrés, heureux de vivre parmi nous et d’autres évoquer différentes discriminations qui leurs posaient des problèmes sérieux.

On ne peut pas généraliser le sentiment d’être heureux de vivre à Québec à tous les membres de la communauté musulmane, mais on ne peut pas non plus parler d’isolement dans tous les cas.

Bien entendu, il est tout à fait légitime de se demander comment on en est arrivé à cet attentat, ici à Québec ?

La question se pose du point de vue d’une personne de confession musulmane, du point de vue d’une personne de d’autres confessions et aussi des personnes qui ne s’identifient à aucune confession en particulier.

Et sur ce sujet, on a bien peu de réponse. On connaît si peu de choses du tueur…

Tuer des gens pendant qu’ils prient dans un lieu privé relève d’une lâcheté sans nom. Il y a tellement peu de faits avérés sur le tueur, qu’il est impossible de spéculer.

J’ai évidemment passé la semaine à réfléchir sur les conséquences à court terme de l’attentat.

J’ai beaucoup lu. J’ai suivi en direct les deux cérémonies (Montréal, Québec) par l’entremise des deux chaînes de nouvelles en continue. J’ai écouté les gens autour de moi. J’ai gardé mes réactions pour moi, la plupart du temps.

Ce matin, je veux garder la trace de ce que je retiens, sept jours après le terrible évènement de l’attentat de Québec.

C’est peut-être normal de se sentir responsable de ce qui est arrivé, sur le coup de l’émotion, mais l’autoflagellation représente-t-elle la meilleure attitude à adopter pour aller de l’avant de manière constructive pour la suite des évènements ?
Plusieurs personnes ont senti le besoin de s’excuser dans les derniers jours pour ce qui est arrivé. L’attentat s’est avéré d’une telle ignominie, que l’heure était à l’examen de conscience.

Un animateur de radio avouant « ne jamais avoir donné la parole aux musulmans, même lorsqu’ils étaient concernés par ses propos » a affirmé en ondes : « Je le reconnais, j’ai erré ! » (source). Dans ce cas, je crois que c’était la bonne chose à faire.

Le député fédéral de Louis-Hébert (circonscription où est située la Grande mosquée de Québec) a demandé pardon à la communauté musulmane. Je comprends les bonnes intentions qui motivent ce message. J’ai cependant tiqué quand j’ai lu qu’il avait vu dans le passé « prendre racine dans le cœur de ses semblables la peur, la méfiance et la haine ». Il a droit à sa lecture des évènements, il a aussi le droit de « demander pardon ».

Bien que je sois conscient que sa déclaration ait plu à plusieurs, je ne me suis pas identifié à cette prémisse que « mes semblables » de Québec aient été animés ces dernières années par la peur, la méfiance et la haine face à un homme ou une femme de confession musulmane. J’ai observé ces attitudes chez une faible minorité de mes concitoyens et je ne crois pas cette généralisation très constructive.

La déclaration de Joël Lightbound a tout de même entrainé une répercussion étonnante, incarnée par les paroles de l’imam de Lévis (Karim Elabed) qui, sur les ondes de la télé de ICI Radio-Canada à l’émission spéciale diffusée en direct de Québec vendredi dernier, a déclaré que la communauté musulmane aurait dû se dissocier plus fortement des actes de terreur commis ailleurs dans le monde au nom de l’Islam…

« Nous aurions dû ne pas pratiquer la politique de la chaise vide qui nous a tant gangrené, depuis des dizaines et des dizaines d’années. Nous avons laissé pulluler des discours haineux à l’intérieur même de notre propre communauté; nous aurions dû faire des marches de solidarités. »

Il est vrai que dans les dernières années, on n’a pas entendu souvent les porte-paroles de cette communauté. Les médias ont donné beaucoup d’espace à un type comme Adil Charkaoui (porte-parole du Collectif québécois contre l’islamophobie). Les demandes d’accommodement religieux ont aussi été fortement médiatisées et ceux qui sont plus représentatifs de la communauté musulmane n’ont obtenu que très peu de visibilité pour s’exprimer publiquement.

Les sources de malentendus dans ces circonstances sont multiples et expliquent probablement l’écart entre les nombreuses perceptions des Québécois dans le dossier de la nécessaire laïcité au Québec.

Une dernière déclaration sur le thème de la responsabilité m’a frappé. Dans ce cas, elle induit peut-être une certaine «déresponsabilisation», pourrait-on dire.

Je fais ici allusion aux paroles de l’imam Hussein Guillet prononcées à l’occasion de la cérémonie funéraire de Québec à l’effet qu’il y aurait une autre victime qui devrait s’ajouter aux six autres auxquelles on a rendu hommage dans les cérémonies : le tueur lui-même…

« Quelqu’un a planté des mots plus forts que les balles dans son cerveau. Et qui en est responsable? Nous tous! » (source)

Je comprends qu’un leader spirituel parle de cette façon dans une cérémonie religieuse. Je l’accepte, même. Mais cette déclaration ne passera pas comme une lettre à la poste, ni dans la tête de certains membres de la communauté musulmane, ni en dehors parce que d’une certaine façon, elle choque. Il faut comprendre et recevoir le point de vue de ces personnes qui refusent de voir le jeune tueur « comme une victime ».

C’est probablement normal aussi de pointer des responsables pour ce qui est arrivé, sur le coup, mais l’introspection et la prudence sont de bien meilleurs guides.
Je rappelle qu’on ne sait que très peu de choses sur celui qui a commis l’irréparable.

Pourtant, de nombreuses personnes ont rapidement pointé du doigt des responsables potentiels de la tragédie, à commencer par le nouveau président des États-Unis qui s’est servi de « faits alternatifs » pour justifier sa propre politique « anti-immigration » (source).

Déplorable.

La tuerie a été perpétrée dans une mosquée musulmane, de Québec, par un jeune homme né au Québec dont les parents – de Québec – sont « de gens calmes et sans histoire » (source).

Le réflexe de bien des gens consistera à se demander qu’est-ce qu’il y a de spécial dans l’eau de la région de Québec plutôt qu’attendre d’en savoir davantage sur le jeune homme de 27 ans traité pour anxiété et ayant « des problèmes d’alcool ».

Quand on parle de Québec, on parle inévitablement de certaines radios privées qui donnent des micros à des personnages très controversés.

Tellement d’observateurs ont cassé du sucre sur le dos de la radio de Québec que Mario Dumont s’est senti le besoin de la défendre à Montréal

« Marc Lépine écoutait quoi à la radio à Montréal? On le sait-tu? (…) Quand on vise les radios de Québec, on ne vise pas les radios de Québec, on vise le monde de Québec. On vise la population. On vise les gens de Québec qui les écoutent. »

Je suggère moi aussi de s’intéresser davantage aux gens de Québec qu’à leur radio. Mais je ne suis pas certain qu’en s’intéressant seulement aux gens de Québec on obtiendra bien des réponses pouvant expliquer le drame survenu dimanche soir dernier.

Du moins, on pourra considérer ce fait que certains ont peut-être oublié…

_____________________________

Mon examen de conscience n’est pas terminé. J’aurai besoin de plusieurs semaines parce que le drame est survenu dans mon patelin et qu’il touche tous les gens proches de mon milieu d’appartenance. Au travail, à la maison, au restaurant, en famille… il en a été question.

Et il continuera à en être question.

Parmi tout ce que j’ai lu, il me faudra relire le témoignage de Ilies Soufiane, 15 ans, fils aîné d’Azzedine, l’une des victimes.

Très poignant ce témoignage qui lève le voile sur la vie des jeunes de la communauté.

Quand on se dit qu’il faudra bien un jour concilier les propos de Djemila Benhabib ou de Fatima Houda-Pépin avec ceux des gens qui ne voient aucune nécessité de « régler » le dossier de la laïcité de l’État, on peut facilement penser que le chemin sera ardu.

Quand on lit aujourd’hui que Philippe Couillard tend la main à l’opposition, on est en droit de se demander de quelle main il parle ?

Est-il prêt lui aussi à bouger sur les positions bien campées qui étaient les siennes.

J’ai beaucoup aimé cette semaine dans l’un de ses discours que notre premier ministre précise que les mots « Allahou Akbar » (« Dieu est grand » en arabe) sont souvent – pour ne pas dire toujours – associés à la violence des terroristes qui sème l’horreur au nom de l’Islam et que cette semaine, ils avaient été utilisés dans le bon sens – celui de l’humilité et de l’amour – par les membres de la communauté musulmane.

Je suis quand même perplexe devant la main tendue de M. Couillard.

N’est-il pas celui qui est pointé du doigt par l’un des auteurs du Rapport Bouchard-Taylor ces jours-ci pour « des tentatives extrêmement timides qui n’ont abouti nulle part » ? (Ajout : les deux auteurs expriment de vives critiques de l’approche des libéraux… « Si on se concentre sur les recommandations importantes, on se rend compte que le gouvernement n’a pratiquement rien fait. »)

On trouvera de nombreuses traces sur ce carnet des jugements sévères que je porte sur ceux qui ont voulu au Parti québécois utiliser cet enjeu de la laïcité pour se vautrer dans le « wedge politics ».

Reste que le laisser-aller est lui également à proscrire.

Espérons que les tragiques évènements du 29 janvier dernier inspireront tout le monde à trouver des solutions convergentes dans le respect et le dialogue.

3 Commentaires
  1. Photo du profil de Denis Mercier
    Denis Mercier 5 années Il y a

    C’est injuste cibler seulement Philippe Couillard et le parti Libéral. Votre propre parti a les mains plus sales et vous seriez plus crédibles si vous aviez cité certaines des prises de position islamophobe de la CAQ. Quant au parti québécois, ce sont eux qui ont amené le plus gros du problème avec la fameuse charte des valeurs qui délimitaient les valeurs à rejeter en entourant les musulmanes. J’espère qu’ils vont disparaitre à la prochaine éelctions.

    • Photo du profil de Mario Asselin Auteur
      Mario Asselin 5 années Il y a

      Si votre commentaire est à l’effet de demander si la CAQ doit aussi se placer en état «d’examen de conscience», je veux bien répondre «certainement».

      J’ai ciblé M. Couillard (après l’avoir félicité) parce que c’est lui qui sort aujourd’hui aux Coulisses du pouvoir pour affirmer que «qu’un terrain d’entente dans ce dossier peut être trouvé sans délai».

      Je l’ai ciblé parce que je demeure perplexe face à cette sortie.

  2. Photo du profil de Clément laberge
    Clément laberge 5 années Il y a

    Merci Mario pour ce partage, calme, serein… et pas trop partisan.

    Tout le monde doit en effet prendre le temps de s’interroger: et pas tant sur «ce qui est la faute des autres», mais sur «ce que chacun d’entre nous aurait pu faire autrement» / et pas qu’en réaction à la tragédie du 29 janvier, mais de façon générale, pour que le climat social soit plus sain.

    Réflexion à poursuivre dans les prochaines semaines et les prochains mois.

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