L’information régionale est-elle en danger à Québec?

Je suis allé au Musée de la Civilisation ce soir pour assister à une rencontre de journalistes (ouverte au grand public). Le titre de ce billet reproduit fidèlement la nature des échanges, même si les interventions des panélistes et des membres du public ont fait dériver le débat plus souvent qu’autrement. L’événement était sous l’égide de la section Québec de la Fédération Professionnelle des Journalistes du Québec.


Alain Gravel a ouvert le débat en affirmant que de son point de vue de Président de la FPJQ, il sentait que la question de la Montréalisation (et de la centralisation) de l’information devait être documentée pour mieux comprendre et voir ce qui en était… L’organisme qu’il dirige (de Montréal, il l’admet) est en recherche de sous ($$$) pour aller de l’avant. Pendant la soirée, M. Gravel est beaucoup intervenu. Ses opinions étaient pertinentes, mais disons qu’à un moment donné, tout le monde présent s’est demandé si on n’avait pas été invité à une conférence de M. Gravel. Je reviendrai sur d’autres points de vue émis par ce grand du journalisme pendant la soirée.
Agnès Maltais est de tous les débats quand il est question de Québec. Pour ce soir, elle a déposé quelques notes sur son site Web, ce qui me facilite la tâche de rapporter ses propos, d’autant plus qu’elle a été fidèle à ses notes. Mme Maltais a bien joué son rôle de défendre le volet plus politique de cette question en interpellant les journalistes et les patrons sur leurs résistances à laisser les politiciens tenter d’agir pour limiter la convergence. N’en fallait pas plus pour que M. Gravel dise que les journalistes n’étaient pas si fermés que cela…
Daniel A Denis était celui qui avait la vision la plus «business» de la problématique. Un peu normal puisqu’il agit comme président d’une chambre de commerce. Pour lui, les médias sont une des belles richesses de la ville de Québec. Il a été le premier des intervenants à se demander si le conflit de travail au Journal de Québec est annonciateur de ce qui s’en vient? Nous devons être perçus à Québec comme des gens qui veulent à tout prix conserver le maximum d’emplois chez nous dans le domaine des médias et il a convenu que la situation était préoccupante.
Enfin, Yves Fortin (secrétaire général du Conseil de Québec de la CSN) ne semblait pas vraiment à l’aise dans son rôle d’analyste de la situation des médias à Québec. J’ai grand peine à me souvenir d’une intervention qui mériterait d’être soulignée. Il se disait lui-même grand consommateur de médias et c’est sans réserve qu’il a offert son soutien aux journalistes du MédiaMatin Québec qui avait pris place dans la salle en très grand nombre. D’ailleurs, plusieurs d’entre eux sont venus établir l’équation que se battre pour garder un contenu important de nouvelles de Québec à Québec et rayonnant dans tout le Québec, c’était appuyer leur cause… Voilà, c’est dit!
Le phénomène qui tend à gagner Québec est présent partout. Nous sommes toujours le grand centre de quelques-uns et la région d’une autre… J’ai bien aimé l’intervention d’une journaliste du Soleil qui affirmait que les collègues des grands centres sont eux aussi en cause quand vient le temps de regarder d’où vient la pression de quitter pour la grande ville. Accepterait-on à La Presse qu’un journaliste du Soleil de Québec couvre le Super Bowl pour le compte du groupe Gesca, par exemple? Pourtant avec le Rouge et Or, nous avons une belle expertise en football… Agnès Maltais a relancé sur la même longueur d’onde. Lorsqu’elle s’exprime de Québec, il arrive qu’on lui fasse signe que La Chef devrait peut-être prendre la place pour exprimer ce qu’elle a à dire puisque Québec, c’est encore souvent «du national»! Intéressant…
On a aussi parlé des plates-formes et du problème qu’une seule information fasse autant de millage sur toutes les plates-formes d’un média. Mme Maltais a rappelé sa mésaventure. J’ai eu l’occasion de poser la première question en provenance de la salle et j’ai évoqué l’idée que l’avenir des régions passait peut-être par les jeunes et les nouveaux médias qui changent la donne de plus en plus. La question n’a pas vraiment soulevé les passions… J’ai pu quand même réaliser qu’un autre blogueur était dans la salle, Michel Monette. M. Gravel a vanté la valeur ajoutée de son carnet Web qu’il était justement en train d’apprivoiser.
Je retiens de ma soirée que le nombre de pages des quotidiens papiers tend à beaucoup augmenter et que le nombre de journalistes à Québec suit la courbe exactement inverse. Ç’est une affaire de nombre de jobs en information à Québec finalement… Bien sûr, je crois qu’il est possible de produire beaucoup d’informations locales puisque les gens seront toujours intéressés à entendre parler d’eux et de ce qui est proche d’eux, mais il faudra suivre de près l’évolution de ce dossier. Personnellement, j’ai tendance à penser qu’on oublie que les jeunes sont déjà en train de passer à autre chose, mais bon… Je dois être trop collé à la forêt et ne plus bien voir les arbres. Force est d’admettre que la quantité de monde qui travaille de Québec pour produire de l’information dans les grands médias est en constante régression. Mais je crois qu’on sous-estime ce qui s’en vient en terme de façon de produire du contenu informatif, de le diffuser et de le faire rayonner sur toute la planète. Je veux bien continuer de réfléchir à ces enjeux dans les prochains mois…
M. Denis a eu le mot de la fin quant à moi… «Quand on est chacun de son côté, on ne progresse pas». Voilà, essayons de voir ce que chacun peut faire pour les autres et surtout, pour faire progresser notre collectivité.
Mise à jour du 12 octobre: À lire, «La FPJQ en faveur d’une réglementation contrebalançant la concentration des médias» de Michel Monette aux CentPapiers.

6 Commentaires
  1. Pascal Lapointe 15 années Il y a

    Le nombre de pages des journaux augmente? Voilà une statistique qui, pour moi, est inédite. Mais est-elle véridique? Le Soleil ayant réduit son format, il est peut-être inévitable qu’il y ait plus de pages, non?
    Reste que dans tout ce débat sur l’information en région, la concentration de la presse est le facteur-clef… Dans une logique purement comptable, les articles du « journal-centre » seront de plus en plus nombreux à re-paraître dans les autres journaux du groupe, au détriment des articles locaux. Par attrition, il y a moins de journalistes qu’il y a 15 ans dans certains secteurs (comme les quotidiens), et s’il y en a plus ailleurs (recherche télé, magazines), ce sont des emplois presque systématiqiuement précaires, ce qui ne facilite pas la coordination des efforts… Et de toutes façons, même ces emplois précaires sont en bonne partie à Montréal.
    Jadis, les journalistes des quotidiens montaient aux barricades chaque fois qu’un article d’un autre journal du même groupe de presse était réutilisé dans leurs pages. Aujourd’hui, au Soleil, c’est une pratique courante, parce qu’ils ont accepté de l’inscrire dans la convention collective, sans doute lors d’un marchandage.
    Comment inverser la tendance? Par des pressions du public et politiques, certes. Mais si même les journalistes ne protestent pas, comment le public saurait-il sur quel clou il doit taper? Année après année, nombre de gens, ici comme ailleurs, cessent d’acheter les journaux pour divers motifs, et la pauvreté de l’information régionale n’est que l’un de ces motifs.

  2. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 15 années Il y a

    «Le nombre de pages des journaux augmente? Voilà une statistique qui, pour moi, est inédite. Mais est-elle véridique? Le Soleil ayant réduit son format, il est peut-être inévitable qu’il y ait plus de pages, non?»
    J’ai tiré cette assertion d’un témoignage d’un journaliste de MédiaMatin Québec qui disait (sur place) avoir observé au Journal de Québec une forte augmentation du nombre de pages au fil des dernières années. J’ai l’impression qu’on parle d’une augmentation de l’espace «pub», mais bon… Je vous rejoins sur le fait que la quantité «de contenu informatif» ne semble pas avoir augmenté beaucoup… s’il n’a pas diminué. Mais tout cela mériterait d’être vérifié.
    Vous apportez de bons points. j’en ajouterais un autre. Les journalistes de Québec semblaient voir d’un très bon oeil que le contenu de Québec se retrouve ailleurs, mais, à l’inverse, semblaient horifié de cet envahissement du contenu en provenance d’ailleurs publié à Québec. Quoi comprendre dans cette logique?

  3. Pascal Lapointe 15 années Il y a

    « Les journalistes de Québec semblaient voir d’un très bon oeil que le contenu de Québec se retrouve ailleurs, mais, à l’inverse, semblaient horifié de cet envahissement du contenu en provenance d’ailleurs publié à Québec. Quoi comprendre dans cette logique? »
    Je ne sais pas si c’est de la logique ou de l’ego… 🙂
    Mais malheureusement, je suis convaincu que c’est un marché de dupes. Si la logique comptable continue de prédominer, les journalistes de Québec (et plus encore, ceux des régions) seront toujours perdants dans ce petit jeu. Parce que La Presse et Le Journal de Montréal ont davantage de journalistes, donc sont davantage à même d’alimenter les journaux des régions que le contraire. Et plus les coupes de personnel dans les médias se poursuivront, plus ce phénomène s’accentuera… surtout si les décisions sont prises depuis Montréal.

  4. Photo du profil de MichelMonette
    MichelMonette 15 années Il y a

    J’ai aussi soulevé après le débat, auprès d’Alain Gravel et de Denis Bolduc (l’éditeur de MédiaMatin Québec et porte-parole de l’Union des syndicats des employés du Journal de Québec) la question de la collaboration entre journalistes et internautes, en leur parlant de l’expérience Rue89 et d’autres expériences de participation citoyenne à l’élaboration des contenus des médias (sans compter ce qu’on appelle le « journalisme citoyen » qui est en fait la possibilité pour chaque personne qui en a le talent de rapporter la nouvelle sur la place publique grâce à Internet). Ça me semble une avenue intéressante pour la région de Québec, mais il faudrait pour cela que les médias et ceux qui y oeuvrent s’ouvrent à la nouvelle donne en information créée par les TIC. Ça va venir, de gré ou de force.

  5. Pascal Lapointe 15 années Il y a

    Le journalisme citoyen est une avenue que j’ai toujours appplaudi, en tant que journaliste -à preuve, je viens de terminer un livre qui vante l’utilisation par les scientifiques des blogues et recommande l’élargissement de cette pratique.
    Mais il faut reconnaître que, dans le contexte dont il est question dans cette discussion-ci, le journalisme citoyen comporte un point sombre: que restera-t-il du journalisme qui a le temps de creuser, de fouiller, de faire des suivis?
    Explication. Les médias de partout coupent dans leurs budgets; à Québec, l’utilisation d’articles en provenance de Montréal n’est qu’une des manifestations de cette logique comptable. Une autre manifestation, partout au Québec, est la précarisation de la profession journalistique: les journalistes sont de plus en plus des contractuels et des pigistes, parce que ça coûte moins cher. Résultat, il y a moins de suivi des dossiers de fond, il y a plus d’articles superficiels, parce qu’ils coûtent moins cher à rentabiliser, etc. Or, le journallisme citoyen accentue cette tendance: le journaliste citoyen, lui, n’est même pas pigiste, il est… bénévole! Sur 1000 citoyens qui pondront un article, dont certains seront indéniablement de qualité ne croyez surtout pas que je remette cela en doute, sur 1000 donc, combien auront le temps de faire un suivi de leur dossier, de faire une véritable enquête, de prendre les nombreuses heures nécessaires à faire des entrevues ou une synthèse, en-dehors de leurs soirées après le travail?
    Mais soyez-en sûr, les médias, eux, seront plus qu’heureux à mesure que se développera le journalisme citoyen: ça leur donnera accès à encore plus de contenu gratuit.

  6. Photo du profil de MichelMonette
    MichelMonette 15 années Il y a

    @ Pascal Lapointe :
    Vous avez bien raison se souligner la tendance actuelle à profiter ($$) du « bénévolat » des YODIS, ce nouveau prolétariat du Net. La quantité ne remplacera jamais la qualité mais certains ont choisi de transgresser cette règle et vont bien finir par en payer le prix (on a vu à quel point la notoriété tient sur un fil dans le cas de Wikipedia).
    Il faut lire la note d’Hilary Wainwright, l’éditrice du magazine Red Pepper, sur Networked politics, à propos de l’impact des nouvelles technologies mises en oeuvre dans Internet en lien avec toute cette question de la récupération du libre par le capitalisme :
    http://www.networked-politics.info/hilary-wainwright-notes-on-berlin-discussion/

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