Hors de l’enseignement simultané, point d’instruction?

L’école est le lieu par excellence où se situe l’enseignement collectif. Au Québec, on a voulu que l’école se donne une mission sur trois axes, instruire, socialiser et qualifier. À un moment donné de notre histoire, un peu après la création de «l’école de Charlemagne» probablement (ou plutôt celle de Jules Ferry), le préceptorat a laissé la place à des dispositifs privilégiant un mode axé sur la pédagogie simultanée où la classe est ordonnée «de manière [à ce] que tous les élèves ou du moins une partie notable des élèves puissent recevoir ensemble l’enseignement sur les diverses parties d’un programme».
«Enseignement collectif», «pédagogie simultanée»… La réalité d’aujourd’hui est-elle compatible avec ce modèle d’école où on pouvait peut-être se permettre d’enseigner la même chose à chacun, à partir d’un seul plan de match pour les trente élèves devant soi?
Je crois de plus en plus qu’une grande partie de la confusion actuelle en éducation porte sur le fait qu’on esquive certaines réalités qui sont devenues incontournables. Les classes sont de moins en moins homogènes, même si récemment, on permet davantage le redoublement. Même quand on retrouve devant soi, plusieurs jeunes du même âge, qui sont au même niveau académique, on ne peut prendre pour acquis qu’ils soient semblables sur tous les plans ayant un impact sur leur capacité d’apprendre. C’est encore pire dans les milieux où on vit une intégration qu’on pourrait qualifier de «sauvage» (CEQ, Boutin et Goupil, 1983, «intégration de groupe d’enfants sans prise en compte des besoins de chacun, absences de critères de réintégration, absence de formation du personnel, absences de structures ou de services nécessaires, absence de consultation du personnel enseignant qui reçoit ces enfants, etc.). Pourtant, chacun sait qu’une classe doit être la plus homogène possible pour qu’un enseignement collectif et simultané soit de qualité.
Dans ce nouveau contexte (peut-être pas si nouveau dans les faits), j’ai peine à comprendre pourquoi il y a autant de résistance à envisager d’agir sous l’inspiration d’une pédagogie différenciée et de stratégies plus ouvertes. J’ai souvent l’impression que l’énergie qui circule dans les salles de profs et les assemblées syndicales est consacrée à cette quête de la classe homogène. Ce rêve de rassembler devant soi trente étudiants semblables qui pourraient prendre avantage à ce qu’on leur enseigne les mêmes choses en même temps au même rythme sans trop se poser de questions; je me demande s’il ne faudra pas aborder de front un de ces jours, cette question qui relève de l’utopie.
Je ne suis pas en train de dire qu’il n’est plus possible d’enseigner dans les classes d’aujourd’hui, au contraire. Je dis simplement qu’il n’est plus possible (si déjà, ce le fut) de ne faire que ça, «enseigner», pour faire apprendre. Je lis occasionnellement des gens comme Marc Le Bris ou Jean-Paul Brighelli, par exemple, qui croquent allègrement «du pédagogue» et je me désole de cette nostalgie qui teinte leur propos. Si je leur donne raison, par exemple, sur ce qu’il y a à privilégier, en bas âge, pour l’apprentissage de lecture à un moment où il est davantage possible de regrouper dans une classe des jeunes qui en sont au même point, je suis stupéfait de leur discours exclusivement centré sur le paradigme de l’enseignement. Dans ce document écris par M. Le Bris portant sur le redoublement, je vois bien qu’il est réaliste et je suis assez d’accord avec lui: «L’enseignement simultané en classe hétérogène est tout simplement impossible». Par contre, au lieu d’envisager de s’adapter à la réalité et de remettre en question l’enseignement simultané dans des classes de plus en plus hétérogènes (même si on est en droit de mettre des limites), plusieurs profs se réfugient dans le mode «résistance»; à ce moment, tout y passe… On devient hargneux devant les programmes par compétences, le mot «pédagogie» est prononcé avec le fiel de l’amertume et trop souvent, la moindre différence chez les jeunes devient source de conflit.
J’écoutais cette après-midi ce slam de Grand Corps Malade intitulé «Éducation Nationale» et si je ne suis pas certain que toute solution passe nécessairement par l’État qui injecte à l’infini des ressources ($$), il faut admettre qu’on doit mieux supporter, les enseignants dans leur capacité de gérer toutes les différences… à condition qu’on accepte de mettre de côté ce retour idéaliste à la classe parfaitement homogène.

Grand Corps Malade – Education Nationale
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Marc Le Bris pose en signature sur son site que «l’instruction éduque, [et que] l’éducation n’instruit pas». Voilà une position très discutable. On peut écrire qu’à trop embrasser on peut mal étreindre, mais de là à induire qu’aucune transmission de connaissances ni intégration de savoir ne s’opère quand on éduque… Au Québec, on peut toujours affirmer que ce qui entoure la réforme ou le nouveau programme ne fait pas assez consensus, mais j’ai entendu bien peu de critiques sur la triple mission de l’école québécoise. Cette position dogmatique sur l’éducation qui n’instruirait pas me porte à croire que même Grand Corps Malade ne trouvera pas les mots pour pour réconcilier les solitudes de ce joyeux monde de l’enseignement. Je termine cet accès de «fièvre éducative» en citant un extrait de ce texte intéressant écrit par un autre personnage chez nos cousins qui me semble démontrer beaucoup de nostalgie et faire preuve d’un soupçon de mauvaise foi envers ceux qui dirigent l’école en France:

«Depuis plusieurs décennies, nous avons laissé dériver l’école, nous avons abandonné sa direction à des gens que l’instruction, le savoir et la culture n’intéressent pas. Ces gens ont transformé l’école en quelque chose qui n’est plus l’école.»

N.B. En complément d’information sur ce sujet, histoire de ne pas citer que des français situés d’un seul «côté de la médaille», je signale cette conférence de Anne-Marie Chartier qui porte le titre «L’école obligatoire intègre-t-elle la nécessité d’un enseignement individualisé?»…

Info additionnelle: Je viens de trouver les paroles du clip de Grand Corps Malade sur un blogue d’une enseignante; c’est dans ce billet, «Grand Corps Malade – Education Nationale: réflexions».

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3 Commentaires
  1. Photo du profil de Plotin
    Plotin 13 années Il y a

    Bonjour M. Asselin,
    Je suis tout à fait d’accord avec cette approche différenciée et diversifiée de l’enseignement, sauf que la limite actuelle du système réside dans sa gestion budgétaire. Évidemment, un peu d’imagination, comme vous en avez à opossum, permettrait de contourner une partie du problème avec les nouvelles technologies. Je crois que le changement d’attitude en enseignement est inévitable à moyen terme.

  2. michel le neuf 13 années Il y a

    Les classes homogènes, c’est rentable, relativement efficace. mais c’est surtout un « gros vendeur ». Le hic, c’est qu’on se retrouve dans une situation où pour avoir son enfant assis dans l’une de ces classes, on va l’inscrire au privé ou dans un programme particulier. Ce qui a pour effet de rendre encore plus hétérogènes les classes de ceux et celles qui n’ont pas fait ces choix-là. Dans un marché éducatif où on peut magasiner son école ou son programme, on observe toujours la même chose: ce sont les plus doués et les mieux nantis qui choisissent. Les autres traînent derrière dans des classes de plus en plus hétérogènes…

  3. Paul C. 13 années Il y a

    L’école est sensée nous extraire de nous-même et non pas se plier à nos moindres caprices. Si les classes ne sont pas homogènes, c’est le travail de l’école de diminuer les différences.

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