La nécessité de créer des liens forts… enfin, au Québec… entre le système d’éducation et le système professionnel

N.B. Ce billet est issu d’une série de seize qui identifient des raisons de se doter d’un Ordre professionnel des enseignantes et des enseignants au Québec. L’auteur est René Larouche, professeur retraité de l’Université Laval ayant comme principal champ d’intérêt la sociologie des professions. Je lui offre cet espace de mon blogue parce que j’endosse son travail.
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La modernisation de certaines façons d’être des enseignantes et des enseignants sur le plan professionnel à l’échelle individuelle et collective passe par l’interrelation fonctionnelle, efficace et efficiente qui se doit d’exister entre le système d’éducation et le système professionnel. Plutôt que de faire « cavalier seul », le domaine de l’éducation retirerait d’immenses avantages à faire partie du système professionnel québécois compte tenu du fait qu’il est très bien structuré et qu’il fonctionne de façon efficace et efficiente à travers un réseau d’institutions et de règles cohérentes et complémentaires.

« Au Canada, la responsabilité des professions demeure partagée entre plusieurs ministres (santé, éducation, travail, etc.) contrairement à la situation qui existe au Québec où un seul organisme et un seul ministre assument cette responsabilité. » (Samson, Jean K., président de l’Office des professions du Québec, Allocution au congrès national de l’Institut canadien des évaluateurs agréés, 4 juin 1999, p. 15-16)

« Au Québec, l’État n’a pas opté pour une répartition sectorielle par ministère, mais a plutôt fait le choix de confier à un même ministre la responsabilité de l’ensemble des lois professionnelles (…) afin de constituer un tout, agencé de manière cohérente [ainsi que pour] promouvoir et maintenir une vision d’ensemble. » (Office des professions du Québec. Le système professionnel québécois de l’an 2000. Mise à jour du système professionnel, plan de réalisation, de propositions, 1977, p. 6)

Pour l’Office des professions du Québec, « la société québécoise doit avoir accès à des services professionnels qui correspondent à ses besoins et à ses moyens. » L’Office des professions du Québec a non seulement le pouvoir, mais aussi le devoir, de mieux protéger certaines catégories de personnes lorsqu’elles le sont insuffisamment (dans ce cas-ci les élèves, les parents, etc.), et que la présence du système professionnel pourrait améliorer leur situation.

« L’Office des professions doit s’occuper de certaines problématiques qui concernent les rapports du système avec des entités extérieures : il s’agit par exemple de l’hésitation à intégrer des groupes de professionnels compétents qui ne sont pas encore parmi nous » (Diamant, Robert, président de l’Office des professions du Québec. Discours prononcé lors du lancement de la Mission de l’Office des professions du Québec, 18 octobre 1996, p. 8)

« L’Office des professions, étant le passage obligé de la législation professionnelle a, parmi ses responsabilités, celle de réfléchir (…) à la bonne marche du système professionnel et de proposer au gouvernement des mesures de développement et de réforme de ce système afin que le public soit convenablement protégé » (Diamant, R.., président de l’Office des professions. Allocution au symposium international sur l’autoformation, 1997, p. 6)

L’actualisation et l’adaptation du système professionnel québécois aux nouvelles tendances de la société moderne commande certaines façons de faire qui sont parfois différente de ce qui existait dans le passé, y compris l’obligation d’offrir de meilleures garanties de protection à de nouvelles catégories de personnes (ex. : les élèves et leurs parents) ainsi qu’un nouveau mode d’organisation du travail de type professionnel aux enseignantes et aux enseignants.

«Aujourd’hui, dans un contexte de grande évolution, où il nous faut sans cesse s’ajuster à des défis nouveaux, le système professionnel québécois offre toujours une garantie essentielle de compétence d’abord, mais également de responsabilité et d’intégrité.» (Diamant, R. président de l’Office des professions du Québec, allocution au colloque de l’ACDEAULF, 25 septembre 1997, p. 1)

«L’Office des professions recommande (entre autres) que le gouvernement du Québec privilégie l’appartenance au système professionnel comme mécanisme de protection du public dans tous les cas où il y a lieu d’offrir, dans un contexte de dispensation de services professionnels, une garantie particulière de compétence et l’intégrité ». (Office des professions du Québec. Le système professionnel québécois de 1’an 2000. L’adaptation des domaines d’exercice et du système à la réalité du XXIe siècle, 1999, résumé, p.2)

Il faut voir ce tableau qui compare la situation qui existe actuellement dans le système d’éducation du Québec et le réseau d’institutions qui permettent au système professionnel québécois de fonctionner de manière cohérente pour mieux protéger le public. Très instructif…

Le public ainsi que la société québécoise actuelle et future, ne sont pas suffisamment protégés … et parfois même pas du tout … lorsqu’on compare la situation qui existe dans le système d’éducation avec celle qu’on pourrait y retrouver si on utilisait le réseau d’institutions et de règles qui font partie du système professionnel, et qui jouent un rôle crucial, efficace et efficient dans le succès de la mission de protection du public. Différentes problématiques qui existent… et qui peuvent s’aggraver… dans les établissements scolaires, en l’absence de mécanismes professionnels adéquats pour les régler de façon efficace et crédible.
Saviez-vous que…

  • l’acte professionnel d’enseigner n’est pas encore défini?’
  • les limites des responsabilités professionnelles des enseignantes et des enseignants ne sont pas encore clairement précisées?
  • de nombreuses situations problématiques existent et s’aggravent dans les établissements scolaires, en l’absence de mécanismes professionnels adéquats pour les régler de façon efficace et crédible? Citons quelques situations réelles qui font les manchettes de journaux :
    • des parents se plaignent qu’un enseignant est trop exigeant pour ses élèves…
    • un enseignant est accusé de faire peur à ses élèves…
    • un enseignant est accusé d’incompétence, alors qu’il doit enseigner un programme pour lequel il n’a reçu aucune formation…
    • des parents accusent une enseignante d’être despote et névrosée…
    • un enseignant est accusé de n’avoir aucun encadrement pédagogique…
    • une enseignante est transférée dans une autre école « pour mettre fin à un problème »…
    • l’examen d’un enseignant est annulé par le conseil des commissaires…

Ces situations sont-elles fondées ou non fondées, réelles ou farfelues? C’est pourquoi il y a urgence d’agir « afin d’offrir aux enseignantes et aux enseignants, de même qu’aux parents, un Ordre professionnel pour gérer les aspects professionnels de l’enseignement et auto-réglementer la profession enseignante afin de faire respecter les droits, tout comme les responsabilités véritables, des enseignantes et des enseignants concernés. » (Conseil pédagogique interdisciplinaire du Québec, La profession en marche , Bulletin d’information du CPIQ sur l’Ordre professionnel des enseignantes et des enseignants au Québec, Numéro 5, mai 2000, p. 2)

Il est urgent et nécessaire pour de multiples raisons de type professionnel, autant à l’échelle collective qu’individuelle, de procéder immédiatement à la création d’un Ordre des enseignantes et des enseignants au Québec. Plusieurs des interventions effectuées de bonne foi par de multiples organismes (ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport, Conseil supérieur de l’éducation, commissions scolaires, instances syndicales, etc.) n’ont pas permis de résoudre, de façon efficace et efficiente, une variété de problèmes de fond qui existent de façon chronique dans le système d’éducation. À titre d’exemple…

  • De nombreuses difficultés et lacunes constatées par les enseignantes/s au plan de leur autonomie et de leur reconnaissance professionnelle, persistent dans le système d’éducation malgré de nombreux efforts, pour y remédier depuis des années.
  • Des situations problématiques et des conditions professionnelles inadéquates sont encore souvent constatées dans le réseau scolaire.

La présence d’un Ordre des enseignantes et des enseignants permettrait de mettre fin à la confusion générale dans laquelle baigne actuellement l’exercice de la semi-quasi-profession enseignante, qui n’avantage pas les élèves, les parents et ni les enseignantes et les enseignants.

« … C’est dans ce contexte à la fois de détérioration et de complexification du travail enseignant que la question de la professionnalisation s’est historiquement posée et qu’elle se pose aujourd’hui avec encore plus d’acuité avec le projet de créer un ordre professionnel.
En effet, l’idée de professionnaliser l’enseignement est précisément une réponse à cette double contrainte. Face à la détérioration des conditions de travail et à la dévalorisation du métier d’enseignant, le professionnalisme vise avant tout à redonner davantage de pouvoir éducatif et d’autonomie pédagogique aux enseignants de la base. En particulier, professionnaliser l’enseignement aboutirait à mettre fin à la confusion générale qui règne depuis trop longtemps en éducation entre les intérêts économiques et corporatistes défendus par les parties patronales (le MÉQ, le gouvernement) et syndicales, et les besoins éducatifs des élèves.
Du côté patronal, cette confusion découle du fait que l’État québécois prétend gérer à la fois les budgets de l’éducation et l’éducation elle-même. Or, depuis quarante ans, on observe que cette double gestion conduit trop souvent à des aberrations : d’un côté, l’État-pédagogue dicte aux enseignants, à travers ses réformes successives, quoi et comment enseigner, et de l’autre, il entend imposer, contrôler et surtout diminuer les ressources financières et humaines allouées à l’éducation. Bref, l’État se mêle de pédagogie, domaine dans lequel il n’a aucune espèce de compétence particulière, tout en fondant ses décisions sur des choix budgétaires, par exemple, lorsqu’il impose des réformes éducatives tout en coupant dans les ressources nécessaires à leur pleine réalisation.
Du côté syndical, on retrouve la même confusion, mais inversée, dans la mesure où la défense économique légitime des intérêts des  » travailleurs de l’enseignement  » finit par s’imposer comme le seul critère de la qualité pédagogique et éducative, comme si le fait, par exemple, de recevoir un meilleur salaire se traduisait ipso facto par un accroissement de la compétence pédagogique et de l’engagement professionnel. La création d’un ordre professionnel aurait le mérite d’éliminer cette confusion qui mine et paralyse l’enseignement depuis la Révolution tranquille, en permettant d’identifier et de séparer clairement les intérêts trop souvent contradictoires à l’œuvre derrière les beaux discours officiels du MÉQ et de la CSQ.
Les parties patronales et syndicales pourraient continuer à négocier les enjeux économiques de l’enseignement (par exemple, les salaires et les conditions de travail), tandis que les enjeux éducatifs et pédagogiques se formuleraient sur leur vrai terrain : celui de la qualité professionnelle des pratiques enseignantes et leur impact sur l’apprentissage des élèves.
Mais le MÉQ et la CSQ ne sont pas seuls en cause, car, au Québec, le monde de l’enseignement demeure toujours éclaté en micro-pouvoirs dont la présence et les interventions souvent incohérentes accroissent la confusion générale. Par exemple, tout le champ de la formation des maîtres est construit en l’absence quasi complète des enseignants eux-mêmes, tandis que divers organismes (universités, facultés, commissions scolaires, associations pédagogiques, etc.) et diverses instances (comité d’agrément, comité d’approbation, commission des programmes, ministère, etc.) prétendent décider au nom de la profession ce qui est bon pour elle et les futurs enseignants.
… Ici encore, la création d’un ordre professionnel aurait le mérite de clarifier toute cette situation confuse et pour tout dire absurde. Loin de représenter un nouvel échelon bureaucratique parmi d’autres, les pouvoirs que lui confère le professionnalisme permettraient à l’ordre professionnel de faire le ménage parmi tous ces organismes et instances aux visées disparates, et d’éliminer la plupart d’entre eux. La gestion d’un système d’enseignement y gagnerait donc en clarté et en efficacité.
Il est donc urgent de mettre fin à cette confusion et de mettre de l’ordre dans une profession aussi souvent et aussi mal contrôlée que la profession enseignante, dans l’intérêt des élèves, des parents et des enseignants eux-mêmes.
(1) Avis du CPIQ à l’OPQ sur la reconnaissance professionnelle des enseignantes et des enseignants, 1er mai 2002
(Lettre de Maurice Tardif, professeur titulaire à l’Université de Montréal, publiée dans le Journal Le Devoir, Conseil pédagogique interdisciplinaire du Québec, L’intersection, volume 21, numéro 1, novembre 2002, p.7)

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