La période «Web 2.0» tirerait à sa fin

Le vocable «2.0» a beaucoup fait jaser sur La Toile depuis quelques années. Voulant caractériser ce passage à un Internet plus participatif, l’expression «2.0» devait marquer l’imaginaire en illustrant le pas de géant accomplit par les usages sur La Toile rendant plutôt caduque le recours à la version «1.0». Les nombreux outils sociaux sur le Web qui permettent l’interaction et facilitent la publication Web marquent en effet une évolution importante dans les façons d’apprendre et d’échanger, soit, mais ce pas en avant ne m’a jamais semblé suffisant pour casser la compatibilité arrière, caractéristique essentielle d’un changement de cet ampleur. Il y a plusieurs sceptiques dans la salle au Québec et ailleurs. Internet évolue, certes, mais doucement les usages s’élargissent et il y en a pour tous les publics. Ça ne m’a jamais empêché d’utiliser l’expression «2.0», mais j’ai toujours gardé en mémoire les réserves de Michel Dumais sur la validité réelle du concept. Je me souviens aussi de Laurent (le Capitaine) qui avait même parlé de «miroir aux alouettes» en novembre 2006… L’intention ici n’est pas de raviver de vieilles querelles, ni de dire si quelqu’un avait raison ou tort, mais de continuer à voir un peu plus clair dans nos lubies de spécialistes quand vient le temps de nommer les choses (je n’ai pas écris «compliquer», mais j’en avais bien envie…).
Je sentais le besoin de revenir sur ce sujet parce que depuis quelques jours, plusieurs articles et billets annoncent la mort de l’expression «Web 2.0», sur fond de crise financière qui compromet plusieurs projets du «Web 2.0». Le billet «Le “Web2.0″. une expression à mettre au placard. une fois pour toute» s’inscrit dans cette perspective. Ouriel Ohayon, un observateur privilégié de la Silicon Valley, se prononce catégoriquement après avoir lu son copain Michael Arrington sur le sujet:

«En revanche, je ne suis pas d’accord avec un point. “le Web2.0″ n’est pas mort avec l’arrivée de cette crise, il est mort depuis [un bon] moment. Un long moment. Quand exactement? Depuis qu’il est devenu un mot fourre-tout que personne ne sait définir, que les startups se déclarent “web2.0″ avant même de dire ce qu’elles font, que des consultants spécialisés Web2.0 se présentent en tant que tel, que tout est 2.0 alors que l’on a pas pris le temps de creuser sur la vraie signification de son activité et de l’innovation que des médias essaient d’anticiper le 3.0 sans vraiment de quoi il s’agit.»

Je dois quand même dire qu’il y a des sceptiques… mais ça ne peut pas m’empêcher de poser des questions. En éducation, au niveau des apprentissages, quel est l’impact de cette prise de conscience? Est-ce que Francis Pisani a raison d’écrire «Fini le bon temps»? Dans le contexte où des entrepreneurs comme Loïc Le Meur vont jusqu’à devoir couper des postes adoptant la stratégie «Survival Of The Quickest», est-ce que nous devons apprendre à nous méfier des idées novatrices qui nous traversent l’esprit en ces temps d’incertitudes où en plus du terrain économique qui se rend instable, il y aurait la fragilité du concept qui devrait nous influencer…

Cette semaine, je lisais cette réflexion d’un internaute de renom qui bascule dans ses usages de son agrégateur à Twitter tellement il éprouve davantage de plaisir – pour autant d’informations utiles – à «checker twitter plutôt que les flux RSS». Incroyable sa conclusion: «Twitter enlève les oeillères des blogueurs qui, plus libres, sont plus intéressants». Moi qui ne cesse de continuer à répandre la «folie des blogues» dans le milieu éducatif… Faudrait que je me garde une p’tite gêne avant d’aller plus loin?

Tout ça pour dire qu’au moment où l’évolution de nos usages nous porte à laisser en arrière ce qui fait moins de sens, il faudra que je sois davantage conscient que par en arrière il y a des pas impossible à escamoter pour qui veut bien comprendre le chemin à inventer, l’itinéraire à choisir et la destination à atteindre. J’entreprends dans les prochains jours des mandats où je conseillerai des institutions et des groupes qui se lancent dans l’aventure des communautés. Je dois me présenter avec l’idée qu’il n’y a aucune raison de croire que le «2.0» est nécessairement un absolu à envisager. Je garde à l’oreille cette citation du Capitaine: «L’évolution du Web est un continuum, le Web 1.0 n’a jamais existé, pas plus qu’un hypothétique 3.0.»!

Je dois garder le focus sur ce qui aide les gens à mieux communiquer. Je dois comprendre que les meilleurs outils sont ceux qui restent transparents pour les usagers, leur permettant de bien travailler ensemble, qu’ils soient présents ou non en même temps au même endroit. Je dois m’employer à démontrer, mais surtout, je dois bien écouter ce qui parle le plus aux gens dans cet Internet aux multiples visages. Est-ce qu’encore ici «le mieux» serait l’ennemi du bien? Est-ce que ce «mieux» existe vraiment?

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8 Commentaires
  1. florence meichel 14 années Il y a

    Je dois m’employer à démontrer, mais surtout, je dois bien écouter ce qui parle le plus aux gens dans cet Internet aux multiples visages.
    Mais faisais-tu donc autre chose ????

  2. Photo du profil de LyonelKaufmann
    LyonelKaufmann 14 années Il y a

    Web 2.0, Web 1.0, MédiaTIC sans Web… de toute façon, il convient de ne jamais oublier que, pour une grande partie des enseignants, la non-durabilité des solutions technologiques proposées présente une des raisons importantes de résistance à l’intégration de ces outils dans leur pratique quotidienne.
    Dans le même temps, les jeunes en formation se posent nettement moins de question relativement à l’usage de ces outils. Et l’évolution économique actuelle ne changera rien à l’affaire.
    En adepte kuhnien des évolutions, je serai tenté de dire que ce qui est à l’oeuvre aujourd’hui est justement et peut-être LE momentum du basculement vers le nouveau pardigme social, économique, géopolitique, voire éducatif.

  3. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 14 années Il y a

    @ Florence
    La tentation est forte, parfois, de sauter sur les occasions de munir les écoles des outils du fameux Web 2.0 alors qu’ils m’approchent en ce sens. Quand on regarde vraiment ce que ça donnera, quand on écoute les vrais besoins et la capacité des gens de pouvoir composer avec des outils qu’ils utiliseront et qui produiront des apprentissages, on accepte de faire des détours ce qui, en apparence, peut vouloir dire qu’on les encourage dans des solutions, disons, de transition.
    Il me vient un exemple en tête. Un exemple récent. Ce reportage (le topo sur l’utilisation des TBI se situe vers la fin du bulletin de nouvelles, au 4/5) diffusé récemment a fait dire à un bon copain qu’il constituait un «recul pour la cause de l’intégration des technologies en classe». Je n’ai pas encore pris le temps d’en discuter avec lui (on ne s’est pas vu récemment et je ne voulais pas aborder le sujet sur le blogue du récit), mais je suis de ceux qui approuvent à 100% le geste du directeur de cette école. Je connais bien les profs de cet établissement, je connais bien leur contexte et dans ce cas, l’outil des tableaux interactifs (supposément 1.0) va bien servir leur cheminement vers des apprentissages au contact des TIC. C’est un exemple de situation où le réflexe du «2.0» aurait pu être le mien et où j’aurais commis une erreur, je crois!
    Autrement dit, à la question «Mais faisais-tu donc autre chose?», je répondrai «Non», mais souvent, il y a de fortes pressions pour que je fasse autre chose…
    @Lyonel
    Les adultes dans les écoles que je côtoie tentent souvent de distinguer «l’effet de mode» du «réel progrès», alors que les jeunes adoptent le dernier outil arrivé sans trop se poser de question, comme tu dis.
    L’important demeure surtout, il me semble, de distinguer le gadget qui crée plus de bruit que de musique…
    En enseignement, sur ce sujet, ni les adultes, ni les jeunes ont tout raison ou tout faux!

  4. Martin Comeau 14 années Il y a

    Je retiens une chose… Que le discours sur la méthode ne devienne pas plus prenant que la possibilité d’y arriver plus vite en marchant.

  5. Photo du profil de MichelMonette
    MichelMonette 14 années Il y a

    J’ai toujours été frappé, moi qui fut édimestre cinq ans dans une organisation syndicale et qui est devenu conseiller à la formation dans la même organisation, à quel point l’expression Web 2.0 mais aussi toute cette panoplie d’outils de communication auquel on l’associe, est le fait d’une minorité, pour ne pas dire une mini-minorité. La masse en est encore au courriel et à la navigation le plus simple possible. Le vrai Web n’a pas encore vraiment franchi la barre du 1.0 et il faudra d’abord que les outils du 2.0 entrent vraiment dans l’usage commun avant de dire que cette phase est morte. Autrement, ça demeure de l’ésotérisme 2.0.

  6. Photo du profil de FrancoisGuite
    FrancoisGuite 14 années Il y a

    Le Web 2.0 ne se définit pas par les entreprises qui l’ont fait naître, mais par son essence, laquelle je résumerais par l’interaction sociale en ligne. Du web lecteur, il est passé au web acteur. Même si 95% des joueurs du Web 2.0 devaient disparaître, cet attribut du Web 2.0 survivra, principalement parce qu’il est trop important à la nature humaine.
    Pour répondre à la question sous-entendue dans le titre, le Web 2.0 est forcément appelé à disparaître, enseveli sous les strates successives de l’évolution. Néanmoins, son leg sera toujours l’interaction entre les individus.

  7. Photo du profil de ChristianJacomino
    ChristianJacomino 14 années Il y a

    Le plus difficile n’est pas d’apprendre, c’est d’enseigner. Tout un chacun est, peu ou prou, capable d’apprendre. Un petit nombre seulement sont véritablement capables d’enseigner. Martin Heidegger disait cela en 1951-1952, au gré d’un cours traduit en français sous le titre Qu’appelle-t-on penser?, publié aux PUF en 1959. Je vais chercher les lignes suivantes à la page 89 de mon édition de 1973: « Enseigner est, en effet, encore plus difficile qu’apprendre. On le sait bien mais on y réfléchit rarement. Pourquoi enseigner est-il plus difficile qu’apprendre? Ce n’est pas que celui qui enseigne doit posséder une plus grande somme de connaissances et les avoir toujours disponibles. Enseigner est plus difficile d’apprendre, parce qu’enseigner veut dire ‘faire apprendre’. Celui qui véritablement enseigne ne fait rien apprendre d’autre qu’apprendre ».
    Le principal obstacle à une véritable démocratisation de l’enseignement réside dans le fait qu’il est plus difficile de trouver de (vrais) professeurs que des élèves. M. Heidegger souligne encore, dans la même page, qu’aujourd’hui « personne ne désire plus devenir enseigneur ». Enseigner est devenu une tâche harassante, moralement inacceptable pour beaucoup aujourd’hui, qui ne se sentent plus le courage de « rien imposer », pas même l’éthique du Bien dire et l’amour de la langue. Et ceux-là ont espéré un moment que les nouvelles technologies, ainsi que tout ce que l’on a rangé sous l’appellation de « web 2.0 » les débarasseraient de ce fardeau. Or, ils paraissent découvrir que ce n’est pas le cas.
    Pour ma part, je continue de ne pas douter que les NTIC peuvent beaucoup pour améliorer les apprentissages. Mais avant de me demander en quoi elles peuvent aider les apprenants, je me demande en quoi elles peuvent aider les professeurs. Je veux dire que je ne me défausserai pas de la carte NTIC sur mes élèves. Si les NTIC me sont utiles, si elles rendent mes cours à la fois plus instructifs et plus amusants, mes élèves se les approprieront à leur tour. Ils iront voir. Sinon, ce sera mon échec, pas le leur.

  8. Photo du profil de Guy Vézina
    Guy Vézina 14 années Il y a

    Je prends connaissance de ces textes aujourd’hui (je sais, je suis en retard)! En rapport avec le texte de M. Lyaunel Kaufmann (la non-durabilité des solutions technologiques proposées présente une des raisons importantes de résistance à l’intégration de ces outils dans leur pratique quotidienne), je suis porté à l’appuyer puisqu’effectivement, comme il le souligne si bien, (les jeunes en formation se posent nettement moins de questions relativement à l’usage de ces outils); et, comme le souligne si bien Michel Monette, la masse en est encore au courriel et à la navigation le plus simple possible (preuve ma génération des 65 ans et plus)!
    Je me pose cependant des questions sur le texte de François Guité qui souligne que «le Web 2.0 ne se définit pas par les entreprises qui l’ont fait naître, mais par son essence, laquelle je résumerais par l’interaction sociale en ligne». Sartre a bâti sa réputation intellectuelle (existentialisme) sur le fait que l’existence précède l’essence en ce sens que je deviens par mon engagement ce que je désire être (contrairement à la philosophie d’Aristote = l’essence précède l’existence).
    À moins que je n’aies pas compris, ce qui est fort possible et, si c’est le cas, j’offre mes excuses. Il souligne toutefois que (du web lecteur, il est passé au web acteur. Même si 95% des joueurs du Web 2.0 devaient disparaître, cet attribut du Web 2.0 survivra, principalement parce qu’il est trop important à la nature humaine). Là, je suis d’accord, pour les mêmes raisons exprimées auparavant en ce sens que l’être humain, en s’engageant, produit ce que l’être humain apporte comme contribution à l’avenir du devenant et, comme le souligne Michel, (le Web 2.0 est forcément appelé à disparaître, enseveli sous les strates successives de l’évolution).
    Enfin Christian Jacomino me rejoint quand il écrit « Enseigner est, en effet, encore plus difficile qu’apprendre ».

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