«L’effet Mathieu»

Je connaissais le phénomène, mais je ne connaissais pas son nom : « l’effet Mathieu ». Et pourtant, j’aurais dû. Dans ce billet daté du 3 décembre 2005, le commentaire d’un internaute faisait mention de ce que Keith Stanovich décrit comme étant «l’accroissement des handicaps» :

«Ceux qui connaissent au moins 90% des mots du texte le comprennent et, parce qu’ils le comprennent, commencent à apprendre les 10% de mots qu’ils ignoraient. Ceux qui connaissent moins de ces 90% et qui, par conséquent, ne comprennent pas ce qu’ils lisent, perdent sur les deux fronts : non seulement, ils ne bénéficient pas des contenus du texte, mais ils n’acquièrent aucun vocabulaire. Le célèbre spécialiste de la lecture, Keith Stanovich nomme, cet accroissement des handicaps « l’effet Mathieu », en référence au passage de la Bible :
« À celui qui a, il sera beaucoup donné et il vivra dans l’abondance, mais à celui qui n’a rien, il sera tout pris, même ce qu’il possédait ». (Matthieu, XXV-28-29)»

Extrait de «Une assise pour un socle», du blogue «Haute langue orale».

Ça ne m’avait pas frappé au moment de lire ce que Marc St-Pierre m’écrivait. Pourtant aujourd’hui, par l’entremise de l’Infobourg (au point #2), je tombe sur le blogue de l’auteur du commentaire de tout à l’heure et je retrouve ces propos qui, cette fois, me captivent comme ils auraient dû à la première lecture. Il faut dire que ce qui touche la lecture (et les méthodes d’apprentissage) a pris une autre couleur dernièrement


Il me faudra suivre attentivement ce qui viendra de ce nouveau blogue d’un gestionnaire en éducation. Si M. St-Pierre est le «Marc» que je connais, il occupe des fonctions qui lui permettent d’espérer beaucoup de ce cri du coeur que j’aurais dû relever la dernière fois :

«Si j’appelle tous ceux qui ont à cœur la cause des enfants à se serrer les coudes autour et dans leurs écoles, c’est parce l’école est un lieu incontournable : les enfants y passent de 30 à 60 heures par semaine. Si j’insiste autant sur l’apprentissage de la lecture, c’est parce que la lecture est un outil d’émancipation. Avant de lire pour apprendre, il faut apprendre à lire.

Je rejoins Marc dans cette prise de position, évidemment, mais ce qui me préoccupe également c’est de développer un antidote à cet «effet Mathieu» qui sévit dans bien d’autres domaines que celui de l’apprentissage de la lecture. Comment donner encore plus à des gens pour qui le fait de connaître moins fait en sorte qu’ils finissent par en acquérir moins? «Cet effet» me semble donner beaucoup de prise aux théories constructivistes et socioconstructivistes en éducation qui tiennent en compte ce que l’apprenant sait déjà avant de pouvoir intégrer les nouveaux savoirs qui se pointent. Sur ce sujet d’ailleurs, je réalise de plus en plus que ce qui divise est moins de l’ordre des théories qui sont à la base des apprentissages que celles qui touchent l’impact du changement de paradigme. Le changement qui nous fait apporter beaucoup de considérations à ceux qui apprennent est perçu par plusieurs (et je ne suis pas en train de dire que les partisans de ce changement ne sont pas un peu responsables de ce «malheur»), comme étant une autorisation de ne plus se soucier d’enseigner. Dans une volonté de faire cesser les pratiques où celui qui enseigne ne s’assure pas que l’apprenant soit actif, le discours (et une certaine rhétorique interprétative biaisée) est allé trop loin du côté des contextes qui pourraient justement donner davantage à ceux qui ne sont pas dans l’abondance en terme de participation active et engagée. De cette façon, on a prêté flanc à passer pour des gens qui se souciaient peu des contenus à transmettre et des stratégies parfois très directes et explicatives pour ce faire.

Ces réalités me ramènent à tous les contextes qui ne facilitent pas un haut niveau d’attention chez les jeunes. Les problèmes hors des classes, ceux des familles, les handicaps de tout genre, la paresse intellectuelle (elle existe aussi)… et bien sûr, les mauvaises façons d’aborder la gestion de classe et la gestion du climat de l’école, tout cela ne sera pas résolu par plus d’enseignement sans participation active et engagée des jeunes. C’est de cela qu’il est question ici pour contrer cet effet «Mathieu» : un plus grand besoin de faire du sens pour des apprenants qui, aujourd’hui plus qu’hier, ont besoin de plus D’ATTENTION! Je ne parle pas d’une attention où l’enseignant a tous les efforts à faire et l’apprenant n’a qu’à attendre. Je ne parle pas non plus de celle, narcissive à outrance, qui fait croire à un enfant qu’il est le centre du monde et que tout tourne autour de lui. Je veux surtout parler de toutes les formes d’attention qui impliquent de mieux s’y prendre en s’assurant d’être réceptif aux besoins des apprenants à qui on veut rendre service… d’où l’importance de migrer vers le paradigme de l’apprentissage. Je crois fermement qu’on peut être dans l’explicite et dans le magistral et être dans le paradigme de l’apprentissage. Le problème il me semble, c’est vraiment de croire que le travail d’un enseignant ne consiste qu’à enseigner sans prendre soin de s’assurer de l’attention à porter aux jeunes; c’est ce qui me désole le plus. Mais pour que ça vaille la peine, on doit agir pour que ça fasse du sens pour ceux qui enseignent… Ça ne se fera pas tout seul. On doit expliquer, fournir des contextes qui parlent.

« L’effet Mathieu » se ressent dans le domaine des jeux de hasard, en santé, en amour, dans plusieurs domaines donc et en éducation en particulier. Quand on a peu, on a beaucoup à perdre et il arrive souvent qu’on tente le grand coup pour avoir. On devient vulnérable à la pensée magique, on n’a pas beaucoup confiance en ses capacités et tout ce qui nous diminue vient amplifier la pente à remonter ou vient beaucoup grossir les efforts à faire. Pallier à ces difficultés, c’est penser à comment la personne va recevoir ce qu’on a à lui offrir, c’est tenter de se mettre dans la position de celui qui va recevoir pour mieux agir, pas pour laisser faire et paralyser. Agir, c’est créer les contextes pour faire apprendre en enseignant, en disposant de moyens de notre connaissance, de notre maîtrise, ce qui veut dire PUISER dans notre coffre à outils et chercher à le garnir de ce qu’il y a de plus innovateur et éprouvé.

Chercher à faire acquérir les matériaux les plus précieux (les connaissances) et faire réaliser à quel point c’est précieux en s’assurant de montrer à quoi ça peut servir dans des vrais contextes : voilà notre travail pour contrer « l’effet Mathieu » !

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4 Commentaires
  1. Photo du profil de MarcSt-Pierre
    MarcSt-Pierre 17 années Il y a

    Bonjour Mario !
    Oui Mario, je suis bien le Marc que tu crois. Tu sais, j’ai été le premier surpris de me retrouver sur l’Infobourg. C’est ma conjointe, une lectrice assidûe de ce même Infobourg qui m’a fait parvenir l’article ce matin. Signe de l’univers ? Le matin de mes 50 ans…
    Bonne année à toi !
    Marc

  2. Sonia 16 années Il y a

    Bonjour,
    Je suis très intéressée sur cet « effet mathieu » car on en parle dans les inégalités hommes-femmes dans le monde du travail et je suis en train de faire un mémoire de master sur ce sujet et j’ai du mal à trouver des infos sur ce « fameux effet »; si vous avez des infos à me donner je suis prenante. Merci

  3. Steve Bissonnette 16 années Il y a

    Voici,
    Stanovich, K.E. (1986). Matthew effects in reading: Some consequences of individual differences in the acquisition of literacy. Reading Research Quarterly, 21, 360-407
    ce papier est disponible ici à :
    http://leo.oise.utoronto.ca/~kstanovich/reading.html
    en bas de page
    le premier à avoir utiliser ce concept est Herbert Walberg.

  4. Photo du profil de ChristianMontelle
    ChristianMontelle 16 années Il y a

    « «Cet effet» me semble donner beaucoup de prise aux théories constructivistes et socioconstructivistes en éducation qui tiennent en compte ce que l’apprenant sait déjà avant de pouvoir intégrer les nouveaux savoirs qui se pointent. » dixit Mario
    Les difficultés d’apprentissage de la lecture font apparaître une aporie redoutable :
    Pour lire, il faut connaître le lexique et le contexte du texte et pour apprendre les lexiques et les contextes, il faut lire.
    Je contourne cette contradiction par un passage à la langue orale, la « haute » langue orale qu’il est possible de transmettre à tous les enfants dès les premières années et tout au long du cursus. C’est le thème de mon livre : La parole contre l’échec scolaire/La haute langue orale.

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