Lire, c’est conquérir le monde

C’est le titre du Colloque qui m’a fait fait vivre une belle soirée à Toronto d’où je reviens à peine. Trois cents personnes (75% d’enseignants de la communauté francophone en Ontario) étaient rassemblées pour «célébrer» les efforts de quelques années de travail sur le domaine de la littératie chez les garçons. Avant de parler de ma conférence, je voudrais nommer jusqu’à quel point le concept de littératie s’est éclairé pendant ce contact intense avec les gens du ministère de l’Éducation ontarien et le Secrétariat de la littératie et de la numératie. Chaque participant recevait un livre qui se voulait un résumé de huit études publiées sous la direction de Marie-Josée Berger et de Anne-Marie Dionne. Dans l’avion au retour de Toronto, j’ai lu le bouquin et je peux maintenant apprécier toute la richesse du concept de littératie qui est bien davantage qu’un néologisme emprunté à l’anglais:

«La littératie vise à rendre compte du caractère englobant de la langue et de la culture. En effet, la littératie dépasse le simple fait de savoir lire et écrire et renvoie aux capacités de l’individu à maîtriser l’écrit pour penser, communiquer, acquérir des connaissances, résoudre des problèmes, réfléchir sur son existence, partager sa culture et se divertir»

Cette citation vient du livre «Les littératies», dont on peut apprécier l’esprit en allant sur ce site Web, «Lire, se lire et lire le monde». Finalement, je me demande si Mario tout de go n’est pas un blogue sur la littératie…

Ma conférence: «Les blogues au masculin pluriel»
Mon intention était double. Je voulais semer l’idée que les nouvelles technologies font probablement partie de la solution, pas du problème et je souhaitais illustrer par des exemples concrets comment les garçons peuvent bénéficier de l’utilisation des blogues pour développer leurs compétences langagières. Au départ, j’étais un peu inquiet; aucun visage connu dans la salle, un repas assez copieux (le genre qui endort) et l’heure tardive du début de mon allocution qui me faisait croire que je devais prendre le chemin court. On m’avait parlé d’une heure de conférence, mais dans les faits, il ne restait que vingt-cinq minutes pour arriver à 20h, l’heure prévue pour la fin des activités du colloque en cette ouverture. Après avoir constaté que 80% des gens dans la salle avait une bonne idée du mot «blogue», après les avoir fait parler un peu sur les différents moyens d’apprendre, j’ai vraiment senti que le courant passait très bien avec la salle et finalement, je n’ai rien escamoté de mon plan initial. Une heure plus tard, les gens me semblaient encore disposés à en écouter davantage.
La meilleure façon de résumer mon propos sera probablement de consulter les notes sous l’hyperlien plus bas qui m’ont servi pour préparer la Web émission qui sera en ligne dans quelques jours. En effet, après ma conférence, j’ai enregistré un onze minutes de synthèse de mon exposé. Je dépose aussi ici mes diapositives (821 MoKo) qui pourront aider les gens présents à refaire des liens avec ce qu’ils se souviennent d’avoir entendu. Enfin, si vous êtes de ces mêmes personnes, vous serez peut-être tentés d’en savoir un peu plus sur les étudiants, les enseignants et les écoles qui utilisent les blogues dont je vous ai parlé. En allant au bas de cette page portant sur les cyberportfolios vous pourrez en apprendre davantage.
Je viens de vivre une autre expérience qui me confirme dans mon choix d’orientation professionnelle. J’ai eu beaucoup de plaisir à entretenir des passionnés d’éducation et j’ai appris beaucoup. Le thème de la rencontre (la réussite des garçons) étant au coeur de ma pratique, je me suis même permis de pimenter mon boniment de quelques phrases chocs qui, sorties de leur contexte pourraient paraître un peu grossière, mais qui, il me semble, se sont avérés un des bons moments de la soirée :

  • «Une femme qui a des couilles… c’est super, ça passe, c’est bien vu!
  • Un homme qui donne le sein… c’est poche, ça passe mal, ce n’est pas bien vu!*

L’idée était de démontrer qu’il va falloir travailler énormément pour que nous puissions aider les hommes à accepter la part de féminin en eux. Il me semble que les femmes ont davantage de renforcement positif qui les encourage à accepter la part de masculin en eux. Cette prémisse me paraît avoir des conséquences énormes sur les façons de faire qui aident (ou nuisent) aux apprentissages des garçons…

* Merci Serge.


Notes pour la Web émission
1- Comment avez-vous déterminé le succès de ces stratégies innovatrices qui ont une incidence sur la littératie chez les garçons?
Au départ, les gens disaient que ça fonctionnait (l’utilisation des blogues) parce que les élèves disposaient chacun d’ordinateurs portables. Nous avons implanté les outils dans une classe où il n’y avait qu’un ordinateur dans la classe. On a alors dit que ça fonctionnait parce que j’étais là. J’ai quitté depuis deux ans et ça fonctionne toujours… De fait, nous avons multiplié les lieux où les cybercarnets sont utilisés pour faire apprendre. Voici un exemple récent de gain sur le plan des apprentissages. Les facteurs qui contribuent à déterminer que des apprentissages féconds sont produits au contact de l’outil sont :

  • Le volume des contributions dans les espaces Web.
  • Le nombre d’élèves qui participent et surtout, le nombre d’élèves qui publient en dehors du cadre scolaire.
  • La qualité des contributions.
  • La récurrence d’une année à l’autre pour une même classe, un même prof, une même école de l’utilisation.
  • Dans une moindre mesure, le nombre de commentaires et d’intervenants différents. Aussi le nombre de référents.
  • Enfin, on peut aussi mentionner le nombre d’élèves qui utilisent les mêmes outils en dehors du contexte scolaire ou après le parcours dans cette école utilisatrice des blogues pour faire apprendre…

2- Pouvez-vous présenter les grandes lignes de votre propre expérience et de votre expertise en matière de littératie chez les garçons?
J’ai débuté mon parcours dans un internat de 290 garçons qui entraient à l’école le dimanche soir et qui en sortaient le vendredi. J’encadrais les périodes de devoirs dirigés, j’enseignais et j’agissais en tant que «préfet de discipline». Ce travail m’a obligé à regarder du côté des stratégies d’apprentissage, car il était clair que chacun n’apprenait pas les mêmes choses en même temps. La difficulté de mettre en mots ses sentiments, l’extrême sensibilité à l’opinion des autres, la difficulté de composer avec plusieurs consignes à la fois dans l’exécution d’une tâche complexe m’a porté à isoler certaines variables de «l’être garçon» pour favoriser la réussite scolaire. Je suis allé au primaire, en amont pour voir comment se passait l’apprentissage avant que les jeunes n’arrivent à l’adolescence. J’ai constaté qu’en matière de littératie, les jeunes bénéficiaient énormément de pouvoir écrire en public sur les blogues scolaires. Le fait de pouvoir aller au bout de ses idées sans être constamment interrompu, de pouvoir se donner ses propres stratégies de révision, de pouvoir refléter dans le virtuel une image à la hauteur de ses ambitions portait chacun à mieux apprendre. Les jeunes écrivent davantage et respectent beaucoup plus la langue. Ils lisent aussi davantage puisque le fonctionnement en communauté d’apprentissage leur fait réaliser qu’il n’y a pas que le prof de français qui porte une attention à la qualité de la langue. Produire un travail scolaire pouvant être consulté par la planète entière produit un sentiment de travailler pour de vrai, crée le levier pour que chacun devienne demandeur de connaissances. En plus de papa/maman, de la famille élargie, des voisins et des amis, les internautes réagissent à ce que le jeune homme publie sur Internet… Se trouvant valorisé d’obtenir autant d’attention, pouvant aller davantage à son rythme et étant capable d’entrer en conversation, l’étudiant «garçon» comprend qu’il est le responsable de ses apprentissages et brise le cercle vicieux de la pensée magique qui le porte à croire que les difficultés qu’ils vivaient n’étaient pas de son ressort…
3- Pouvez-vous nous parler des stratégies innovatrices axées sur la technologie qui d’après vous ont une incidence sur les garçons et plus particulièrement, la littératie chez les garçons?
Ces stratégies sont basées sur l’utilisation d’espaces Web publics qui permettent à celui qui apprend de s’ouvrir à la communauté éducative. L’intégration de ces nouvelles technologies crée des dérangements en même temps qu’elles ont la prétention d’offrir des opportunités incroyables d’affirmation de soi, d’analyse réflexive et de situations authentiques d’écriture. Par les blogues, un élève ou un enseignant n’a plus besoin de connaître les langages de programmation pour devenir producteur de contenu. Les billets ainsi publiés donnent lieu à des conversations Web qui prennent parfois un caractère inusité, mais qui sont surtout porteuses de beaucoup de sens. L’enseignant qui brise ainsi l’isolement de sa classe se voit projeté dans un monde où la mutualisation des pratiques est à un clic de souris. Les exemples commencent à être nombreux de gens « en apprentissage » qui se lancent à tenir pignon sur Web… Dans le domaine sportif, les entraîneurs connaissent les effets positifs de se produire en public. Après avoir expliqué les principaux rudiments et les principales règles du jeu, on applaudit les enfants qui jouent devant un public prêt à pardonner toutes les erreurs… à condition qu’elles finissent par se corriger. En musique, les enseignants considèrent que les gammes sont essentielles, mais ils savent aussi qu’il faut faire jouer les jeunes apprenants devant un public alors même qu’ils débutent leurs apprentissages. Pourquoi en matière d’écriture faudrait-il faire autrement et ne pas permettre que s’exerce aux sus et au vu de tous, une partie des apprentissages?
4- Quelles sont les conditions qui favorisent le développement de la littératie chez les garçons grâce à l’utilisation de ces stratégies basées sur l’interaction sociale?
Il faut donner la possibilité aux étudiants de pouvoir publier du contenu sans goulot d’étranglement. La gestion a posteriori (facilitée par la syndication de contenu) permet à un jeune garçon de voir tout de suite le résultat de ce qu’il fait et, de cette façon, il s’investit davantage dans un travail de qualité. Aussi, le fait que les blogues encouragent le référencement par les moteurs de recherches, les garçons obtiennent une reconnaissance presqu’immédiate de leur travail ce qui contribue à augmenter le volume des contributions autant que leur qualité.
5- Comment utiliser Internet et la communauté d’apprentissage pour mieux développer les compétences langagières des jeunes hommes dans nos écoles?
L’intégration des nouvelles technologies aux apprentissages pose plusieurs défis aux adultes oeuvrant dans le système scolaire. D’un côté, des jeunes sont nés dans l’ère du numérique. De l’autre, des adultes ont immigré au pays de l’écran et des pixels ou ont comme projet de visiter sous peu «clavierLAND». Les enseignants, dans le meilleur des scénarios sont des immigrants de l’Internet et les conséquences sont importantes : ils ont un accent quand ils s’expriment… Jusqu’à quel point ceux qui font l’école ont à s’adapter dans leurs stratégies et dans leurs usages pour tirer le meilleur parti possible du levier des nouvelles technologies? De nombreux jeunes pensent être tombés dans la «potion magique» parce qu’ils savent pitonner et ont parfois bien mal à la tête de tout ce vertige engendré par des usages souvent débridés des TIC. Regardons les défis d’apprendre de ceux qui sont nés avec le numérique soit, mais aussi celui d’apprendre véritablement, avec les outils, sans qu’ils deviennent des absolus ; disons-le, Internet offrent une valeur ajoutée, souvent, mais représentent aussi une épuisante chimère. Et puis, il y a le défi d’apprendre à les utiliser au service des apprentissages et non suivant des modes proliférantes… Internet met en relation. Internet est une formidable bibliothèque. Mais surtout, Internet est un endroit extraordinaire de prise de parole. Il faut encourager tous les jeunes à prendre la mesure de cette possibilité qu’offre «La Toile» de pouvoir produire de la connaissance facilement et de pouvoir échanger sur celle-ci.
6- Comment ces compétences langagières se manifestent-elles?
Par la pratique. En faisant des erreurs. En raffinant ses stratégies. En recevant des feedbacks. De semaine en semaine, les jeunes écrivent et lisent de plus en plus et de mieux en mieux. Ils constatent qu’une production de qualité est le reflet d’un travail bien fait et ce n’est pas le hasard qui le fait émerger…
7- Pouvez-vous nous démontrer, d’après votre expérience, comment vous avez pu déterminer le succès de ces stratégies et leur incidence sur la réussite des garçons?
Le ratio garçon/filles dans les programmes où ces outils sont proposés de facto, est de 2 pour 3. Les garçons sont parmi ceux qui bénéficient le plus des possibilités de l’outil par l’adéquation entre les caractéristiques de l’outil et les défis qu’ils ont à relever… La motivation des garçons vient souvent des facteurs externes : récompenses, reconnaissance sociale, etc. Les garçons ont grand besoin de pouvoir s’exprimer sans la présence des micro-signaux (le non-verbal) qui les perturbent davantage que les jeunes filles parce que biologiquement, nous sommes plus «excitables», nous vivons les choses de l’extérieure… alors, les garçons deviennent capables de mettre en mots si on ne les interrompt pas, ce que permet la publication Web. Les garçons ont besoin de la reconnaissance extérieure ce que permet la communauté d’apprentissage.
8- Sur quelles recherches vous êtes-vous basé?
Thérèse Laferrière, Canada, groupe TACT, Université Laval, les communautés d’apprentissage.
Sébastien Paquet, Canada, Université de Montréal, logiciels sociaux et elearning.
Seymour Papert, U.S., MIT, constructivisme, elearning et programme avec laptops.
David Tosh, Grande-Bretagne, University of Edinburgh, eportfolio, elearning 2.0, portail Elgg.
Stephen Downes, Canada (CNRC), elearning, utilisation des logiciels sociaux.
Helen Barrett, U.S. Université de l’Alaska, Reflect Initiative, eportfolio.
George Siemens, Canada, University of Manitoba, Connectivisme.
Sebastian Fiedler, Allemagne, University of Augsburg, constructivisme, elearning.
Carole Raby, Canada, UQAM, projet de recherche en cours sur l’amélioration des compétences langagières des élèves en difficultés avec l’aide des blogues.
8- Pourriez-vous aussi nous présenter des pratiques réussies qui ont contribué à l’amélioration du rendement des élèves ou à leur réussite et plus particulièrement la réussite des garçons?
Il faut regarder du côté du Nouveau-Brunswick, du Centre-d’Apprentissage du Haut-Madawaska (3 ans) et des écoles de la Péninsule acadienne qui débutent. Il faut regarder du côté de l’Institut St-Joseph de Québec, la première école francophone à avoir débuté voilà maintenant quatre ans. Il faut regarder à l’École de Rochebelle, au Collège de Montréal et au Collège Saint-Charles-Garnier. Il faut aussi surveiller plusieurs écoles aux États-Unis, quelques-unes en France et en Angleterre.

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1 Commentaire
  1. Photo du profil de ClementLaberge
    ClementLaberge 15 années Il y a

    Tout cela est très intéressant.
    Point de détail… ton .ppt fait 821 Ko, pas Mo!
    Encore merci de ta générosité à partager tout cela avec nous!

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