Le meilleur de Gladwell sur l’éducation, je ne l’ai pas eu en entrevue

Depuis ma rencontre du début décembre avec Malcolm Gladwell, je ne cesse de repenser à ma déception de certains de ses propos sur l’éducation. Un rappel:
Mario: «Si vous n’aviez la possibilité que de faire un changement en éducation visant à améliorer la réussite scolaire, vous feriez quoi?»
Gladwell: «Je remettrais en question le principe des vacances d’été. J’allongerais le temps de présence à l’école.»
Mario: «Votre réponse me surprend… Beaucoup plus de ce qui ne marche pas si bien, vous croyez que ça va marcher mieux?»
Gladwell: «Les enfants ne passent vraiment pas assez de temps à l’école et malgré ce qu’on en dit, il vaut mieux casser ce sacro-saint principe des vacances d’été que de chambarder les façons de faire à l’école. Ça ne marche pas si mal à l’école de toute façon…»
Bon… Ce n’est peut-être pas le verbatim exact, mais c’est sûrement très proche.
Toujours est-il que ma collaboration avec la journaliste présente à l’entrevue ne s’est pas terminée avec la fin de la rencontre en compagnie de Malcolm Gladwell. Vendredi, elle me contactait pour vérifier si j’étais à l’aise avec le fait qu’elle publie dans son article une question que j’avais posée (et la réponse de Gladwell) sans tout expliquer du contexte de ce pourquoi une question ne venait pas d’elle dans le peu d’espace qu’elle avait. Ça ne me posait pas de problème puisqu’elle avait été très avenante en hyperliant vers mon blogue dans son billet en suivi de l’événement. Mais voici qu’hier, elle me fait parvenir ce courriel très intrigant :

«Dans le New Yorker de la semaine dernière, Gladwell a publié cet article, «Most Likely To Succeed». Cette fois, il parle non pas de longueur d’année scolaire, mais bien de qualité d’éducation ou plutôt, de la qualité des professeurs. C’est pratiquement en contradiction avec ce qu’il vous a répondu au sujet de la qualité des écoles… Intéressant.»

Je viens de lire le long (et passionnant) article de Gladwell. Mais c’est qu’elle a parfaitement raison Mme Lortie… «Voilà enfin du bon Gladwell sur l’éducation!», que je lui ai répondu par courriel…

Dans cet article, Malcolm Gladwell cite plusieurs chercheurs de renom et arrive à identifier certaines variables qui comptent quand vient le temps de faire une vraie différence dans la réussite scolaire des jeunes. Voici un exemple où il traite du rôle des enseignants:

«Educational-reform efforts typically start with a push for higher standards for teachers—that is, for the academic and cognitive requirements for entering the profession to be as stiff as possible. But after you’ve watched Pianta’s tapes, and seen how complex the elements of effective teaching are, this emphasis on book smarts suddenly seems peculiar. The preschool teacher with the alphabet book was sensitive to her students’ needs and knew how to let the two girls on the right wiggle and squirm without disrupting the rest of the students; the trigonometry teacher knew how to complete a circuit of his classroom in two and a half minutes and make everyone feel as if he or she were getting his personal attention. But these aren’t cognitive skills.»

Citant Eric Hanushek (un économiste de Stanford), il revient sur ce mythe que le nombre d’élèves par classe soit une variable si déterminante dans le succès scolaire des enfants («Teacher effects are also much stronger than class-size effects). Hanushek ajoute:

«You’d have to cut the average class almost in half to get the same boost that you’d get if you switched from an average teacher to a teacher in the eighty-fifth percentile. And remember that a good teacher costs as much as an average one, whereas halving class size would require that you build twice as many classrooms and hire twice as many teachers.»

Gladwell revient tout au long de son article avec le parallèle du cheminement des quarts-arrières au football. Ce procédé rend la lecture très captivante. Au sujet du cheminement des meilleurs enseignants, entre autres, Gladwell rapporte les propos de Ed Deutschlander qui remet beaucoup de choses en question sur la rémunération des enseignants et surtout, sur le mode avec lequel ils sont sélectionnés. Après avoir «prouvé» l’impact qu’ont les meilleurs enseignants sur la réussite des élèves, il en arrive à dire que le système actuel ne valorise pas vraiment «ces meilleurs enseignants»:

«Teaching should be open to anyone with a pulse and a college degree—and teachers should be judged after they have started their jobs, not before.»

J’ai particulièrement aimé la façon dont Gladwell décrit les interventions qui engagent le plus les jeunes élèves dans leurs apprentissages en précisant que les «Yes-no feedback is probably the predominant kind of feedback, which provides almost no information for the kid in terms of learning». Dieu sait si, trop souvent, l’approche «control-freak» prédomine dans la gestion de classe et contribue à désengager les étudiants, dès leur plus jeune âge, de ce que peuvent leur apporter la classe et l’école. Être attentif à chacun ne fait pas partie des «cognitive skills» qui sont si valorisées à l’entrée de la profession par les tests de classement et la structure de l’évaluation des enseignants en formation initiale. Quand on sait comment l’attitude des enseignants devient déterminante dans l’acte d’apprendre…

«These are three and four-year-olds. At this age, when kids show their engagement it’s not like the way we show our engagement, where we look alert. They’re leaning forward and wriggling. That’s their way of doing it. And a good teacher doesn’t interpret that as bad behavior. You can see how hard it is to teach new teachers this idea, because the minute you teach them to have regard for the student’s perspective, they think you have to give up control of the classroom.»

Bref, voilà un article à lire attentivement; du grand Gladwell, bien meilleur sur le sujet de l’éducation que ce qu’il m’a montré en entrevue… Comme quoi, je devrais continuer à le lire plutôt qu’à solliciter des entrevues…

Et cette finale qui traduit si bien le ton «du papier»: «The school system has a quarterback problem»…

Merci de votre complicité, Mme Lortie!

N.B. Sur son blogue, Gladwell ajoute quelques renseignements supplémentaires à son article dans le New Yorker.

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5 Commentaires
  1. Photo du profil de Patrick
    Patrick 14 années Il y a

    Soit tu l’a fait réfléchir — l’article est publié après son passage ici non? 😉 — soit il s’essayait en entrevue, voir si tu allais challenger ce qu’il disait. Ça me semblerait curieux comme réponse autrement, c’est pas comme si il avait trop résumé sa pensé au point d’en changer l’interprétation, c’est complètement une autre direction.

  2. Photo du profil de AlexandreEnkerli
    AlexandreEnkerli 14 années Il y a

    Pas pour défendre Gladwell (!) mais le contexte d’entrevue est suffisamment artificiel que ce commentaire a pu être fait à l’emporte-pièce. La différence entre sa réponse et son article est assez grande mais l’important reste le résultat (peu importe l’opinion personnelle du bonhomme).
    Tout ça me fait beaucoup penser à une discussion qui a lieu sur la liste de diffusion Society for Teaching and Learning in Higher Education (STLHE-L). On y parle beaucoup des facteurs qui jouent un rôle dans l’efficacité de l’apprentissage et de l’enseignement. D’ailleurs, il y a quelques propos qui se sont poursuivis sur des blogues.
    Dans l’ensemble, on dirait que la plupart des enseignants sont assez sceptiques à l’idée d’une «solution ultime» aux questions liées à l’apprentissage. Nous avons tous des façons assez uniques de procéder, plusieurs d’entre nous sommes reconnus pour notre enseignement, mais nous n’avons pas de modèle unifié qui pourrait permettre de «résoudre la question» de l’apprentissage.
    Pour ce qui est des bons profs et des profs «dans la moyenne», il y a aussi une discussion au sujet du fait que des étudiants apprennent même lorsque la/le prof maîtrise mal ses techniques et méthodes d’enseignement. Mon ami Carl Dyke parlait, il y a quelques mois, du fait que même les profs les plus maladroits peuvent avoir d’assez bons résultats.
    Est-ce un constat déprimant?
    Pour ma part, j’ai tendance à penser que «les gens apprennent malgré l’enseignement». Il y a des méthodes qui sont plus efficaces que d’autres, dans les divers contextes d’apprentissage, mais je considère l’enseignant comme étant responsable de créer un contexte dans lequel l’apprentissage se produit et non comme quelqu’un qui va «causer» l’apprentissage par ses propres facultés.
    Mais ça, c’est à cause de mon enculturation constructiviste.

  3. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 14 années Il y a

    J’aimerais bien pouvoir dire, Patrick, que «je l’ai fait réfléchir» entre le moment de l’entrevue et la parution de cet article au New Yorker, mais je ne crois pas l’avoir «touché» à ce point. Je pencherais plutôt pour la deuxième option… «il s’essayait» et depuis, il a abandonné cette idée (de penser abolir les vacances d’été), y réfléchissant davantage.
    Quand au contexte «suffisamment artificiel» de l’entrevue… hum… Alexandre… souvenez-vous que nous avions été «choisis» 😉
    «L’important reste le résultat»! Je n’en suis pas si certain, mais je veux bien lui laisser le bénéfice du doute. Ce n’est pas «si déprimant» de penser «que même les profs les plus maladroits peuvent avoir d’assez bons résultats». Ce qui l’est davantage, c’est quand on ne parvient pas à augmenter le niveau des apprentissages de quelqu’un qui n’apprend pas «malgré l’enseignement». C’est ici que le bât blesse; quand l’enseignant n’a qu’une stratégie dans ses poches pour «créer le contexte» dont vous parlez. C’est dans la capacité de créer de multiples possibles qu’on reconnaît les enseignants doués qui trouvent toujours le bon chemin, surtout avec ceux qui perdent la boussole à tout bout de champs…
    Enfin, je serais curieux de savoir ce qui a bien pu se passer entre le moment où nous nous sommes quittés et celui où il a terminé cet article. Pas tellement que je sois préoccupé par les idées farfelues qu’il m’a balancées, mais surtout, pourquoi il ne m’a pas partagé ses doutes sur l’influence qu’ont (ou pas) les enseignants qui seraient des «very poor teachers», comme il dit…

  4. Luc Papineau 14 années Il y a

    Et si ce monsieur manquait de cohérence parfois? Il peut aussi avoir connu une certaine fatigue, simplement.

  5. Photo du profil de AlexandreEnkerli
    AlexandreEnkerli 14 années Il y a

    @Mario

    augmenter le niveau des apprentissages de quelqu’un qui n’apprend pas «malgré l’enseignement»

    Et ça, c’est la mission de plusieurs psychopédagogues. Il y a des principes de base, qui sont bien connus, mais c’est surtout du «cas par cas». Il y en a qui sont formés spécialement pour ça (mon père a passé sa carrière en adaptation scolaire après avoir étudié avec Piaget). Mais les mêmes profs auraient de la difficulté dans un autre contexte.
    Ce qui m’embête le plus, avec des textes comme ceux de Gladwell, c’est qu’ils donnent l’impression de mettre les profs sur une échelle. Il y a des «bons profs», qu’on peut découvrir de différentes façons, il y a des «profis moyens» qui emplissent nos écoles et il y a des mauvais profs dont on devrait se débarrasser pour que l’apprentissage puisse s’effectuer plus efficacement. Tout le reste, est perçu comme un ensemble de facteurs qui devraient permettre, éventuellement, de prédire la qualité d’un contexte d’apprentissage.
    Pas que Gladwell ou les autres soient sans connaître l’importance de ces différents facteurs. Mais leur point de vue est basé sur une notion (pour moi un peu étrange) d’un résultat prédéterminé du processus d’apprentissage. On prend des étudiants divers à un certain «niveau» et on les emmène à un autre «niveau». Comme ces propos sont surtout liés à l’apprentissage en milieu scolaire pré-universitaire, l’effet est un peu bizarre. Surtout quand on se place du point de vue de la créativité.
    Pour revenir au cas particulier de Gladwell qui semble changer d’idée…
    À dire la franche vérité, j’ai rien contre Gladwell et je trouve ses présentations assez efficaces, mais je prends ce qu’il dit avec un grain de sel. Le type a des bonnes idées, surtout sur des façons amusantes d’expliquer certains phénomènes connus, mais contrôle-t-il vraiment la portée de chacun de ses mots?
    Christiane Charrette qui poussait Beauduin a traiter Gladwell de «gourou» touchait à quelque-chose. Il y a une question de statut de l’émissaire, dans tout ça.

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