Michel Serres et Petite Poucette : maintenant tenant en main le monde !

Ce billet aurait pu s’intituler : Michel Serres, encore !

J’ai beaucoup évoqué dans ce carnet Web sa conférence « Les nouvelles technologies nous ont condamnés à devenir intelligents ! ».

Il revient en cette « rentrée » avec un livre, Petite Poucette, publié ce printemps dernier. Quelques articles ont évoqué le contexte de ce personnage, « habile à envoyer des textos avec les deux pouces », d’où son nom (1, 2, 3). Mais ce matin c’est cette vidéo qui m’a captivé. Dans le cadre de la journée du livre à Felletin, Michel Serres établit la carte d’identité de Petite Poucette : féminine, âgée entre 12 et 30 ans, sans nationalité, la tête davantage bien faite que toute pleine.

Après l’écoute de cette vidéo, j’ai poursuivi ma veille des récentes interventions de l’Académicien et je suis tombé sur le titre d’un article « La seule autorité possible est fondée sur la compétence » (source). Un extrait…

« Nous disons que l’autorité est en crise parce que nous passons d’une société hiérarchique, verticale, à une société plus transversale, notamment grâce aux réseaux comme Internet. Tout ne coule plus du haut vers le bas, de celui qui sait vers l’ignorant. Les relations parent-enfant, maître-élève, État-citoyen… sont à reconstruire. (…) Une nouvelle démocratie du savoir est en marche. Désormais, la seule autorité qui peut s’imposer est fondée sur la compétence. Si vous n’êtes pas investi de cette autorité-là, ce n’est pas la peine de devenir député, professeur, président, voire parent. »

Cette vision de l’éducation au XXIe siècle que décrit Michel Serres me fascine. À certains égards, elle s’inscrit à l’opposé de celle du sociologue Mathieu Bock-Côté, autre personnage lui aussi très médiatisé, mais au Québec. Dans un billet de blogue qu’il publiait cette semaine, il affirme que la refondation de l’école publique ne devrait pas passer par une déclaration de guerre à l’école privée et sur ce point, on va s’entendre facilement.

Quand il écrit que le fait de pratiquer la pédagogie ouverte est l’équivalent de chercher « à abolir le rapport d’autorité entre le professeur et l’enfant », il trahit sa pensée sur les compétences au programme de l’école québécoise qu’il ne cesse d’opposer – injustement – aux connaissances. Le retour à la tête bien pleine souhaité par les Bock-Côté qui observent avec nostalgie notre époque conduit tout droit à la bête restauration des hiérarchies verticales, à la base d’un management contre-productif dans la plupart des organisations modernes où la communication bidirectionnelle est devenue la norme.

Je suis de ceux qui privilégient l’autorité, cela dit.

Si le blogueur du Journal de Montréal croit vraiment que les écoles privées ont continué d’établir leur rapport d’autorité « du haut vers le bas », sans tenir compte des Petites Poucettes – et des petits pouceux – et prévoient moins le faire, je l’invite à lire ce billet de la directrice des services pédagogiques du Collège Jean-Eudes , « Inventer l’école de demain… ».

L’école privée n’est pas devenue « un contre-modèle » du ministère de l’Éducation. D’ailleurs, l’école publique au Québec s’est davantage rebellée contre l’esprit du programme « par compétence », à mon avis; on n’a qu’à regarder du côté des positions syndicales. Si les filières « d’excellence » coexistent aussi bien au privé avec les autres cheminements scolaires et si le rapport d’autorité entre le maître et l’élève est toujours aussi « bon », c’est parce que les écoles sont autonomes, leurs personnels sont relativement stables et font respecter des codes de vie adaptés au fait qu’une maison d’éducation est un milieu de vie privilégiant l’instruction et le vivre ensemble.

Autant l’école publique n’a pas à « restaurer le rapport d’autorité entre le maître et l’élève » à la Bock-Côté, autant l’école privée n’a pas à être domptée.

C’est la voie proposée par Michel Serres qui devrait guider l’éducation d’aujourd’hui :

« Avant d’enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit, au moins faut-il le connaître. Qui se présente, aujourd’hui, à l’école, au collège, au lycée, à l’université ? »

« Maintenant tenant en main le monde ! »

Ajout du 14 août 2013 : Autre entrevue avec Michel Serres, « Nous traversons la plus importante mutation depuis la préhistoire ! »

Mise à jour du 15 décembre 2013 : Très bon dossier sur les compétences nécessaire au 21e siècle qui complète bien ce billet.

Mise à jour été 2014 : Cette vidéo m’a échappé et constitue un bon complément au livre…

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3 Commentaires
  1. Photo du profil de Stéphane Allaire
    Stéphane Allaire 10 années Il y a

    Merci pour ce billet, Mario.

    Un mot à propos de la phrase suivante: « Désormais, la seule autorité qui peut s’imposer est fondée sur la compétence ».

    On ne va pas discourir longtemps pour s’accorder à l’effet qu’elle est largement préférable à l’autorité du «statut». Cela dit, l’autorité de la compétence demeure à mon avis insuffisante pour faire face aux enjeux du XXIe siècle, qu’ils soient de l’ordre de l’éducation ou autres. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille garder l’autorité de statut. Mais quel autre éminent penseur disait que ces défis relèvent davantage des valeurs que des savoirs? Par exemple, combien de situations d’ordre éducatif, social, politique, etc. avons-nous rencontrées ces dernières années où l’on a fait intervenir des gens reconnus particulièrement compétents pour se rendre compte que, malgré des points de vue contrastés, toutes les positions avaient un rationnel valable à l’intérieur du cadre qu’elles considéraient? La compétence à elle seule ne suffit pas. Autre exemple, en politique plus spécifiquement. Je trouve que de plus en plus d’individus font appel à des résultats de recherche pour soutenir les idées qu’ils présentent. C’est intéressant, voire souhaitable. Or, les consensus scientifiques ne sont pas si nombreux en sciences humaines. Qu’en découle-t-il parfois? Une pratique de sélection des résultats qui corroborent le point de vue que les individus veulent «défendre». Ça nous ramène souvent rapidement à la question des valeurs, qu’on essaie d’objectiver. Est-ce vraiment souhaitable? Je me questionne…

    Dans le paragraphe que tu cites de monsieur Serres, on évoque plusieurs relations (parent/enfant, etc.). Toutes ces relations font référence à un rapport entre deux acteurs. Or, pour notre émancipation sociétale, je pense qu’on gagne aussi à développer un meilleur rapport au collectif. C’est en ce sens que, sur le plan politique par exemple, je radote en faveur d’une collaboration accrue entre les partis. Malgré les différences, je crois qu’il y a des éléments, si peu nombreux soient-ils, qui rejoignent/peuvent rejoindre tous les partis. Pourquoi ne pas travailler en priorité à partir de cela?

    On a des tas de gens compétents au Québec, qui agissent par compétence… et qui demeurent dans l’ombre. Le hic, c’est bien davantage qu’on ne passe pas suffisamment de temps à essayer de s’aligner sur un seul petit objet collectivement partagé et à voir comment tout un chacun peut y contribuer, selon sa compétence…

  2. […] premiers chapitres. C’est le prétexte pour questionner certaines prises de positions de Michel Serres, par exemple, en comprimant le tout sur une question d’extériorisation de la mémoire. On […]

  3. […] Michel Serres qui aura aussi l’occasion en visioconférence de reparler de son essai Petite poucette qui s’est vendu à 250 000 […]

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