Les parents, ces suspects de la modernité

Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec dans la section « blogue ».

Je faisais quelques courses dans un marché d’alimentation dernièrement et dans l’allée des biscuits, un jeune garçon qui devait avoir autour de trois ou quatre ans essayait de convaincre ses parents d’acheter une friandise. Devant le refus systématique de ces derniers, le petit homme qui était assis dans la partie avant du panier s’est lancé dans une de ces crises dont seuls les enfants ont le secret tout particulièrement dans des lieux publics. Jusque-là, rien de très original…

La suite des événements l’était moins. Les gens qui tournaient le coin et qui débarquaient dans l’allée pendant que la petite famille tentait de s’éloigner de « la tentation » arboraient tous la même attitude de ceux qui jugent trop facilement les parents. Ils avaient tous l’air de dire « donnez-lui ce qu’il veut et faites-le taire » ou encore « si c’était le mien, il la fermerait assez vite sa grande trappe ». Bref, bien peu de gens semblaient comprendre ce qui se passait : un cas classique d’enfant qui tente de profiter de la situation pour obtenir ce qu’il veut et qui a bien besoin que ses parents lui tiennent tête peu importe le spectaculaire de sa crise.

Je remarque ces dernières années qu’en société, les gens deviennent de plus en plus intolérants envers les parents, en général. Le réflexe de plusieurs semble empreint d’hyperprotection envers les enfants au point d’oublier que la plupart des contraintes et une certaine prise de risque peuvent s’avérer très formateur pour ces petites pousses qui ont bien besoin de se faire des anticorps pour la vie. Et quand les parents se trompent – et ça arrive, bien sûr, hier comme aujourd’hui – on a le jugement très rapide, bien avant que la cause soit entendue. Les parents sont passés de grands manitous à d’irresponsables de facto, bien rapidement…

Quand j’étais directeur d’école, je me souviens que parfois, un papa ou une maman qui traînait autour du terrain de l’école et qui avait vu une altercation commencer, avant les surveillants dans la cour, avait le réflexe de s’interposer et ensuite de s’en remettre aux surveillants ou à moi. Mais au fil du temps, de plus en plus de parents venaient me prévenir : « il n’est pas question qu’un autre parent intervienne avec mon enfant, je ne l’accepterais pas, c’est MON enfant. De plus, je veux être mis au courant de toutes les interventions au sujet de MON enfant… »

Protection maximale, on ne prend aucune chance…

Comme si d’autres adultes, d’instinct ou d’expérience, ne peuvent savoir ce qui est bien pour un enfant. Comme si par une intervention, on pouvait anéantir le bon travail d’éducation construit avec le temps par des parents qui élèvent de la meilleure façon possible leur enfant. Une erreur, une petite injustice… et ouf, tout bascule du mauvais côté de la force.

Prenez ces jours-ci… c’est la chasse aux mauvais parents qui laissent leurs enfants dans une automobile pendant qu’ils sont de passage à la cordonnerie ou à la pharmacie. Bon, je ne sais pas exactement où il faut mettre la limite entre quinze minutes à laisser « cruellement » un ou des poupons seul(s) dans une auto, fenêtres fermées et quelques minutes seulement. Peut-être qu’il faut brûler sur le bûcher tous les parents qui ont déjà laissé un enfant sur le siège arrière d’une automobile dont le contact était fermé, tant qu’à y être. Il faudrait maintenant se demander à combien de degrés Celsius, on doit composer le 911, si j’ai bien compris ? Il me semble que la paranoïa s’installe un peu rapidement… après que quelques cas de négligence plutôt clairs se soient manifestés.

Je fais surtout référence au cas de ce papa qui avait la garde de son jeune bébé et qui a choisi d’aller prendre une [sic] bière, laissant sans surveillance son petit garçon : c’est clairement de la négligence qu’il faut dénoncer haut et fort pour ensuite prendre tous les moyens pour que ça ne se reproduise plus. On s’entend…

Mais pour plusieurs des cas où la judiciarisation du manque de jugement parental est présenté comme la norme et fortement médiatisé, il me semble qu’on franchit une ligne où le remède cause plus de torts que la maladie. Si j’osais, je demanderais aux médias de se calmer un brin.

Un cas aux États-unis fait en ce moment tache d’huile en ce domaine et est à la source d’un certain débat sur la condition parentale. Ross Douthat l’évoque dans sa chronique au New York Times, The Parent Trap qui va dans le sens de ce j’essais de formuler. Il s’agit de l’histoire de Debra Harell, une mère célibataire de 46 ans qui habite en Caroline du Sud, et qui a été envoyée en prison pour l’« abandon » de sa fille de 9 ans. Loin de moi de laisser croire ici que le comportement de cette mère est irréprochable, mais mérite-t-elle pour autant la prison? Et pour son enfant, s’agit-il du meilleur moyen de l’aider ?

Si je questionne cette chasse aux sorcières qui commence à prendre racine dans les stationnements des magasins à grande surface, je ne donne pas l’absolution pour les abandons d’enfants. Je veux simplement nous mettre en garde contre ce syndrome qui fait de tous les parents, des suspects potentiels, devant être pris en charge par notre système de justice, au moindre écart de conduite.

Comme le demande si judicieusement le columnist du Times, « Pourquoi essayer tout simplement de parler à un parent envers qui vous voulez exprimer une doléance lorsque vous pouvez simplement prendre une photo avec votre téléphone multi-fonctions et l’envoyer aux flics ? »

Est-ce qu’aujourd’hui, en ces temps si modernes du parent suspect, un organisme comme Parents-Secours pourrait être fondé ?

Pourquoi est-ce si difficile de valoriser la fonction de parents, à ce moment où la démographie du Québec a autant besoin d’une nouvelle génération d’enfants pour relever les défis qui nous attendent, tous.

Le moins qu’on pourrait faire ne serait-il pas d’éviter de lancer trop rapidement la pierre et de se rappeler que nos propres parents n’ont jamais été parfaits et que nous ne nous en sommes pas trop mal tirés ?

Je répète, il ne faut pas banaliser le manque de compétences parentales, mais je nous invite à une certaine modération envers des dénonciations inutiles de parents qui ont avant tout besoin de se faire parler par d’autres éducateurs en cas d’écart, voire, de sentir un peu d’appui dans des moments d’errance ou de prise de risque, accompagné de gros yeux, peut-être, avant les explications, qui dans certains cas, suffiront à contextualiser un situation exceptionnelle et exempte de réel danger.

S’il faut agir en présence de négligence, il faut aussi s’assurer d’être bien en présence d’un de ces cas où il faut référer à la police. Souvent, notre propre présence « d’étranger » pourrait, aussi, compenser, l’absence plus ou moins relative de surveillance. Après explications entre personnes bien intentionnés, il y a de bonnes chances de se comprendre quand vient le temps de prendre soin des enfants, quitte à avoir un peu de misère à s’expliquer, parfois. Je veux dire… rester sur place quelques instants, pour vérifier, au lieu de se dépêcher à clencher un parent déjà jugé tyran… c’est une possibilité, également.

Je crois sincèrement qu’un papa et une maman ont tous un coeur ouvert à ce qu’il y a de mieux pour leurs enfants. Ils peuvent connaître une mauvaise passe pendant quelques temps, commettre une bourde, mais sur le long terme, à quelques exceptions près, c’est en leur parlant dans les yeux et en les appuyant que leurs enfants seront les mieux servis dans la vie. Soyons fermes en société pour protéger les enfants et bien les élever, mais souvenons-nous que chacun a pu s’égarer pendant un moment sans se perdre nécessairement.

L’augmentation ces jours-ci de cas d’enfants abandonnés dans les stationnements du Québec me paraît bien plus suspecte et le reflet du manque d’estime qu’on porte à la condition de parent que l’existence d’une mutation dans le gêne du mauvais parent qui les aurait tout à coup multipliés.

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