La culture est-elle une priorité dans la société québécoise d’aujourd’hui?

J’ai été invité hier à un lancement de livre accompagné d’une table ronde par l’Institut du Nouveau-Monde. On parlait dans le courriel reçu «d’un rendez-vous citoyen et culturel à ne pas manquer!»
Chacun des panélistes s’est exprimé au départ à partir de la question «La culture est-elle une priorité dans la société québécoise d’aujourd’hui?» Ensuite, ils ont échangé entre eux à partir des relances de l’animateur Michel Venne et à la suite de quelques interventions venant de la salle. Autour d’une centaine de participants étaient sur place, selon mon estimation. Voici le résumé de la position de chacun des intervenants à partir des notes que j’ai prises…
Marie Gignac
Le fait qu’il y a de très nombreux projets de très grande qualité qui sont refusés (qui n’obtiennent pas de sous $) par les organismes subventionnaires explique sa position à l’effet que ce n’est pas une priorité pour tout le monde. En tous les cas, il n’y a pas vraiment d’évidence que ça l’est pour le gouvernement. Quand on se compare avec le gouvernement américain on se console, mais par rapport aux Européens, on en arrache. Comment convaincre les gens que la culture est un levier économique en dehors de la loi des marchés… là est la question!
Marc Gourdeau
La culture est loin d’être une priorité. Les gens la prennent pour acquise. On voudrait, mais ce n’est pas le cas… Le cas du Palais Montcalm; la quantité d’efforts déployés pour justifier qu’on dépense pour ça… Les gens qui la font la culture ne sont pas une priorité en tout cas. L’exemple du salaire moyen de 17 000$ par année parle en soi… Y-t-il d’autres secteurs où on paye dans les premières années pour travailler? Les entrepreneurs? Oui, mais ils obtiennent des prêts pour leurs projets eux… La tradition de la fréquentation culturelle est jeune. Parce que l’artiste travaillant à temps plein ne gagne pas sa vie, on a un indice que ce domaine n’est pas une priorité. Si on la prend au niveau identitaire, on ne peut pas nier que ce soit une priorité. L’identité ne peut pas exister si on ne soutient pas la culture dont on parlait tout à l’heure.
Kevin McCoy
Je viens des États-Unis et je peux témoigner que la culture est davantage une priorité ici ne serait-ce que parce là-bas, on ne donne pas de subvention. Je le ressens. Je le vois dans les médias. Les articles dans les médias portent sur l’apport politique et économique de la culture. On ne peut pas mettre un prix sur la culture et j’entends qu’il faudrait en mettre un? Il faut encourager l’art, mais pas mettre une valeur à l’art. L’Art et la Culture, c’est inestimable… YouTube serait une culture superficielle. Ce ne serait pas bon de donner des services gratuits tout le temps… parce que ça fait que les gens prennent cela pour acquis…
John Porter
On voit des retombées tangibles des créateurs et l’erreur est de ne pas «prendre conscience» de ce qu’il y a en arrière de la culture. De fait, elle est omniprésente. Il y a une grande démarcation entre la présence culturelle de masse et le rôle que peut jouer l’État dans la diffusion de cette culture. Je dois assumer que je suis un quêteux avec le sourire. Nous de la culture sommes des gourmands et des quêteux… La diversification est là au niveau de l’offre et l’enveloppe ne peut pas suivre. Le public n’est pas là pour la consommer. Une toute petite palette était là auparavant pour suivre le peu qu’il y avait. L’offre a grossi, mais la masse des gens qui ont de l’intérêt n’a pas tant que cela suivit la même courbe. La culture sera toujours un combat. Il faut le dire que les gens vont dépenser pour avoir accès à la culture et dépenser dans l’endroit où ils vont. Nous n’avons pas le droit à l’erreur en matière culturel et c’est déplorable…
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Je me suis permis une intervention vers la fin de l’activité pour suggérer deux pistes de réflexion. Tout au long des interventions, j’ai été frappé par le fait qu’on n’ait pas identifié le type de culture dont il était question ici. Pour moi, il est évident que la culture dite «populaire», celle qui construit l’identité collective, est une priorité dans le coeur des citoyens. J’ai donné l’exemple du rendez-vous culturel des Séries éliminatoires au hockey, mais j’aurais pu en donner bien d’autres… les gens sont prêts à livrer combat pour leur culture et à payer ce qu’il faut pour la conserver. Par contre, il y a une certaine culture (je devrais peut-être dire certains produits culturels?) qui ne passe pas auprès de la masse. Ou très peu. Le débat m’a semblé porter sur cette sorte de culture qu’une certaine élite voudrait bien voir mise de l’avant. C’est amusant de savoir que pendant ce débat, au même moment, au dessus de nos têtes, Pauline Marois signait des dédicaces à l’occasion de la sortie de son autobiographie. Le calcul politique est peut-être simpliste, mais j’ose quand même le soumettre… Il est plus rentable politiquement de jouer «people» que de venir débattre de ce sujet de la culture. Et la file d’attente pour la dédicace était assez longue merci…
Je crois aussi qu’on néglige beaucoup le rôle des parents dans la transmission des valeurs culturelles. Pendant le débat, j’ai entendu que l’école jouait un rôle important (et j’en conviens), mais j’estime qu’on oublie que notre identité se transmet dans la famille. Il me semble que c’est papa et maman qui ont le gros bout du bâton dans le domaine de «l’initiation» aux produits culturels. En bas âge, ce sont eux qui font goûter les premiers aux Musées, à l’art, au théâtre, à la musique et à tout ce qui compose l’univers culturel. Même au niveau littéraire, ils me semblent avoir bien plus d’importance que l’école qui vient après en terme de capacité d’influencer. Enfin…
Je passe sous silence les inepties que j’ai entendues à propos des «compétences transversales» et de la dualité «compétence-connaissance» qui expliquerait le choix de ne plus fréquenter de spectacles scolaires «parce qu’on ne voudrait que faire faire de l’art et ne plus rien connaître sur l’art». Cette position me paraît témoigner d’une grave méconnaissance du domaine de l’éducation. Il semble qu’en matière de nouveau programme de formation de l’école québécoise, les gens de la culture se fient beaucoup à ce que colporte «Les Bougon»! «C’est aussi ça la vie!», il ne faut pas prendre ça au premier degré, les amis…
Un mot en terminant sur le lancement du livre, «La culture, notre avenir!» (21 priorités citoyennes pour la culture québécoise) sous la direction d’Aude Lecointe et de Céline Saint-Pierre produit par l’INM dans le contexte de la tenue des «Rendez-vous stratégiques».
Les co-auteurs ont résumé le contexte de la parution de leur livre de la façon suivante:

  • Il s’agit d’un livre à saveur citoyenne qui ouvre un dialogue.
  • Le Rendez-vous était «stratégique» parce qu’il voulait «proposer».
  • Il apporte aussi un élément de réponse à la question «Que devient-elle la culture?» Selon un angle général, la culture ne serait pas en crise, mais en grande mutation.
  • Les participants des «Rendez-vous stratégiques» veulent une société québécoise plus affirmative au niveau culturel, mais dans le respect de la diversité. On souhaite développer davantage le dialogue inter-régional.
  • L’offre est riche; le défi est de soutenir la demande et le rôle du médiateur culturel.
  • Le statut de l’artiste est lui aussi à mieux soutenir. La mise en oeuvre de la politique culturelle est un défi.
  • Enfin, au niveau des nouvelles technologies, la fracture numérique est en train de devenir une fracture sociale.
  • Un des rôles de l’éducation: l’enseignant comme passeur culturel. La question de l’éducation artistique est aussi au centre des préoccupations du livre.

Au sortir de cette activité, je me dis que le sujet n’est pas épuisé… Il y a encore beaucoup à dire et surtout, beaucoup à faire!

N.B. J’oubliais… Il n’en a pas été question dans l’activité, mais il me semble important de ne pas terminer ce billet sans faire allusion «à la façon ADISQ» de faire les choses en matière de culture numérique. Je lis ce que CFD raconte et je trouve qu’il y a un parallèle intéressant à faire avec certaines affirmations entendues dans le panel…

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7 Commentaires
  1. Photo du profil de LucPapineau
    LucPapineau 14 années Il y a

    M. Asselin,
    Je partage votre première question en ce qui a trait à la définition du mot «culture». Ainsi, jamais les jeunes n’ont autant consommé de musique que maintenant. Cela en fait-il des individus cultivés? Pas pour ceux qui sont des amants de la musique classique, disons. On confond souvent d’ailleurs culture avec un certain élitisme et un certain ethnocentrisme.
    Lorsque vous parlez du rôle des parents, vous touchez un peu essentiel. Ma fille aime la musique. Je lui ai fait découvrir le classique, le rock, le new wave et quoi d’autres encore! Elle n’était pas obligée d’aimer ce qu’elle a entendu, mais le seul fait d’être confrontée à des éléments différents, d’être capable de concevoir qu’il existe une évolution musicale (dans un sens neutre) me semble être un beau cadeau à lui faire.
    En fait, j’ai toujours cru que la culture avait un rôle de socialisation, de réunion, mais aussi d’interpellation : elle doit nous «sortir de nous-mêmes» pour nous amener ailleurs. Ce n’est malheureusement pas ce que vivent tous les jeunes aujourd’hui comme expériences culturelles.
    Quant aux aspects financiers de la chose culturelle, je demeure circonspect. Faut-il subventionner tous les artistes? N’est-il pas dans l’ordre des choses que tous les citoyens ne vivent pas de leur passion? Combien avez-vous fait avec votre livre? Le mien qui s’est vendu à près de 2 000 exemplaires m’a valu un chèque dans les trois chiffres. Faut-il s’en désoler? Je ne crois pas. Surtout que celui-ci est net d’impôt. : )
    De tout temps, les artistes, comme bien d’autres passionnés, ont davantage vécu pour leur passion que de leur passion. J’ai une ancienne élève amateure d’équitation. Elle possède une ferme modeste, suit des cours de perfectionnement, trime dur. Sa vie, sa culture (elle lit sur les chevaux et leur histoire) est équestre. Jamais je ne la vois se plaindre. Elle a choisi une voie difficile et elle l’assume. Jusqu’ou les artistes doivent-ils avoir un statut particulier? Et avec quelle liberté? Repensons à ce projet de loi fédéral sur les crédits d’impôts des œuvres cinématographiques, par exemple.
    Et puis, je songe à ces compagnies de théâtre qui veulent obliger, rien de moins, les écoles à aller voir des pièces afin de s’assurer un public captif. Elles croient à tort qu’il suffit d’asseoir un jeune dans une salle pour qu’il se mette tout à coup à aimer Molière. Elles manquent le bateau avec une telle attitude. Oui, si un jeune ne va jamais au théâtre, il n’aura pas la chance de découvrir cet art de la scène. Cependant, d’autres compagnies vont dans les écoles, présentent des ateliers, discutent avec les élèves. Parlons d’une autre attitude.
    Enfin, je repense à ces auteurs dont l’œuvre est largement subventionné par l’État et qu’il nous est impossible de reproduire en classe. Je repense à cette auteure célèbre qui a refusé à une troupe scolaire de monter l’une de ses pièces à moins de recevoir un cachet finalement plus élevé que le budget consacré par l’école à cette production.

  2. Photo du profil de
    Jean-Pierre Proulx 14 années Il y a

    Un mot pour rappeler que le référentiel des compétences des enseignants que l’on peut retrouver en tapant dans Google: «La formation à l’enseignement. Les orientations. Les compétences professionnelles», compte des pages très éclairantes et stimulantes sur la culture.

  3. Photo du profil de LucPapineau
    LucPapineau 14 années Il y a

    Dans la même veine que M. Proulx, l’AQPF (Association québécoise des professeurs de français) a produit un excellent document intitulé fort à propos Les passeurs culturels.
    Ce dernier mérite d’être consulté.

  4. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 14 années Il y a

    M. Papineau,
    Est-ce que vous voulez parler du guide qu’il est possible de commander en page de garde du site de l’AQPF et qui porte le sous-titre de «Un guide du passeur culturel»?

  5. Jean Trudeau 14 années Il y a

    Il faudrait distinguer création et culture. Simplistement dit, la culture, c’est le fruit de la création, ce qui en reste et qui perdure parce qu’on s’y reconnaît individuellement ou collectivement.
    Chacun développe sa propre culture au fil de ses rencontres et de ses expériences de vie. Les parents peuvent favoriser l’ouverture à la culture et à la diversité; mais je crois que c’est, aujourd’hui plus que jamais, le rôle de l’école de la nourrir et de la développer en favorisant la créativité, en valorisant la création et en multipliant les occasions de rencontres enrichissantes.
    Les médias ont fait de la Culture avec un grand C un produit de consommation parmi d’autres, soumis à la sacro-sainte cote de rentabilité et l’ont ainsi dévalorisée : aucun respect pour l’oeuvre d’auteur, qu’on découpe et entrecoupe outrageusement à qui mieux mieux — même à la télé publique, même à ARTV — de spots publicitaires ternes et redondants, abêtisants…
    Et que dire de la culture locale, à bout de souffle un peu partout, alors que c’est pourtant la seule vraie culture!
    Je retourne à mon Publisac.

  6. Photo du profil de LucPapineau
    LucPapineau 14 années Il y a

    Oui, monsieur!

  7. Photo du profil de Missmath
    Missmath 14 années Il y a

    Le point de Monsieur Trudeau est fort pertinent. Distinguer culture et création.
    Je ferai un pas de plus. Il faut inclure dans la culture plus que les arts et la littérature. La culture scientifique est à mon avis non négligeable mais o combien négligée.

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