Je voudrais que mes enfants ne manquent jamais de rien…

Je ne connais pas de prémisse plus traître que celle-ci. Pourtant, il me semble l’entendre si souvent.

S’il faut donner beaucoup aux enfants, je crois aussi qu’ils doivent apprendre à désirer et à savourer le plaisir de «manquer» de quelque chose pour en apprécier la valeur. Sur le plan matériel en particulier, un enfant qui n’a manqué de rien, n’est jamais facile à éduquer; et je ne parle pas de son aptitude à apprendre…

J’ai connu beaucoup d’enfants depuis le début de ma vie. Je pourrais risquer une sorte de corrélation entre le fait d’avoir rapidement ce qu’on désire et une certaine aptitude au bonheur. J’ai observé que c’est inversement proportionnel.
Je ne parle pas de ces moments où l’enfant pleure pour dire qu’il a faim, qu’il a froid ou qu’il est temps de changer sa couche. Retarder le moment où il sera satisfait dans la réponse à ses besoins fondamentaux va toucher sa confiance et va semer un doute sur sa capacité d’influencer le monde qui l’entoure.

Je ne parle pas non plus de ces choses essentielles que sont l’amour, la sécurité et les soins qui forment le menu de base de tout bon régime de vie pour un enfant. Bien qu’il soit possible pour un «enfant blessé de ne pas faire une carrière de victime» par la mobilisation de ses capacités de résilience, un enfant qui n’a jamais manqué de rien me paraît avoir toutes les chances de vivre bien des hypothèques. À preuve, les positions de Boris Cyrulnik à propos des «merveilleux malheurs».

Je sens le besoin ce matin de ramasser ce sentiment à la base d’une de mes convictions les plus profonde en éducation. Privé un enfant, ou à tout le moins, retarder le moment où il aura ce qu’il veut est un des bons services qu’on peut rendre à un enfant pour sa vie future.

Je voudrais que mes enfants aient toujours ce dont ils ont besoin… dont des moments de privation où ils apprennent la valeur des choses et le plaisir de les désirer longtemps.

Font partie des besoins, celui d’apprendre la valeur de l’effort.
«On connaît les bonnes sources dans la sécheresse, et les bons amis dans la tristesse», dit le proverbe.

Je me souviens personnellement d’avoir manqué beaucoup. Je regarde toute la motivation que ces manques m’ont apportée et je ne voudrais pas avoir manqué de rien. Les délais que j’ai vécu en amont ont été souvent les plus beaux moments de ma vie.

Je me souviens de cette lecture, «Le bonheur, désespérément»…

«Je regarde mon passé comme quelque chose que j’ai, mon avenir comme quelque chose de possible et mon présent comme quelque chose à vivre intensément.»

Pour que ce soit possible, il a fallu que je construise ma confiance dans ma capacité d’agir, pour être ou pour avoir. Et cette capacité ne s’acquiert pas à obtenir sans effort, sans attente.

Je voudrais que mes enfants ait souvent manqué de ces quelques choses qu’ils pouvaient obtenir par l’effort et la patience. Et je voudrais avoir été là pour les accompagner et les encourager.

Le temps passe et déjà, je vois des résultats!

Le temps passe et souvent, je vois que j’aurais pu dire non davantage.

Le temps passe et parfois, je vois que j’aurais pu moi-même attendre un peu plus.

Le temps passe et toujours, je remercie ceux qui m’ont aimé tout autant que ceux qui m’ont privé.

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11 Commentaires
  1. Photo du profil de SylvainB
    SylvainB 14 années Il y a

    Un mot : wow ! En cette époque de surabondance, il est bon de se rappeler de certaines choses vraiment essentielles 🙂 Merci Mario de ramener à l’avant-plan ces notions d’attente, de manque, de désir, de patience, d’effort… !

  2. Photo du profil de GillesJobin
    GillesJobin 14 années Il y a

    Apprentissages essentiels : apprendre le désir, apprendre à désirer.
    Merci pour ton billet.

  3. Photo du profil de FrancoisGuite
    FrancoisGuite 14 années Il y a

    Je me joins à Sylvain et à Gilles dans leurs applaudissements.
    Je crois que l’on peut également faire un lien avec la soif d’apprendre des enfants pauvres dans les pays en voie de développement.
    Je dis souvent à mes élèves qu’ils ne peuvent pas réellement apprendre le sens des choses sans avoir jamais connu la misère.

  4. Véronique Guillotin 14 années Il y a

    Merci de nous rappeler ces valeurs, qui sont selon moi, indispensables.
    Cela fait parti de la vie d’attendre, et l’attente nous apporte plus que l’on pense. Merci de le vulgariser si bien!
    Cela me fait penser un peu à mon passé, au temps où mes parents étaient tout deux aux études en enseignement, et où ma sœur et moi n’avons jamais eu (mais jamais manqué) de jouets (ou simplement, de matériel). Grâce à cela, nous avons su apprécier davantage la présence de nos parents, et l’amour qu’ils nous transmettaient. Je comprends maintenant très bien pourquoi le matérialisme n’est pas une valeur à inculquer à nos enfants plus tard…
    En effet, l’amour et la présence de mes parents me rendaient plus qu’heureuse, et c’est quelques années plus tard, que j’ai enfin saisi à quoi s’apparentait le vrai bonheur.
    Merci encore de nous rappeler ces valeurs, et à quoi sert la notion d’attente.

  5. Véronique Guillotin 14 années Il y a

    Rectification: ma soeur et moi n’avons jamais eu TROP de jouets 😉
    Car nous en avions tout de même abondamment, mais sans trop…
    Oups…

  6. Joseph Deneault 14 années Il y a

    Manquer de tout
    Je viens de tomber sur cet @rticle et aussi presque en bas de ma chaise : on y parle d’un jeune de 10 ans sans-abri. D’une part, certes, pour la plupart des gens, je suppose,il faut généralement travailler fort pour atteindre un but ; néanmoins, le cas de « Willly » démontre qu’il y en a qui ne sont vraiment pas trop choyés…

  7. Jean Trudeau 14 années Il y a

    « Priver un enfant, ou à tout le moins, retarder le moment où il aura ce qu’il veut est un des bons services qu’on peut rendre à un enfant pour sa vie future. »
    Je fais le même constat a posteriori; mais je n’en ferais pas un principe pédagogique ni une stratégie éducative…
    L’enfant n’est pas dupe.
    L’enfant privé par la force des choses parce que ses parents en difficultés n’ont pas les moyens de répondre à ses désirs finira par comprendre — si on lui explique la situation et s’il voit que ses parents eux-mêmes doivent se priver.
    L’enfant artificiellement privé soi-disant pour son bien par des parents qui-ont-les moyens risque de réagir tout autrement — d’autant plus que le motif de la privation n’est pas facile à expliquer dans ce cas, surtout si ses parents ne se privent de rien… Sentiment d’injustice, frustration, révolte, délit…
    Avoir eu les moyens, non, je n’aurais pas privé pas mes enfants comme j’ai trop souvent le faire; je leur aurais cependant, je crois (mais l’aurais-je vraiment fait?), chaque fois fait prendre conscience de leur situation privilégiée et de l’importance de partager.

  8. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 14 années Il y a

    @ tous, merci pour vos réactions.
    @ Jean, tu apportes une nuance importante et nécessaire à ce principe de la privation qui n’est surtout pas un jeu de cache-cache avec ses enfants. Ceux qui ont beaucoup de ressources ont de grandes responsabilités sur ce point du partage et l’important demeure «d’être» plutôt que «d’avoir» en cette matière. Ton commentaire et celui (ceux) de Véronique vont dans le même sens sur ce point.
    @ Véronique, c’est gentil d’avoir précisé, mais nous avions compris l’essentiel de ce que tu voulais dire… Merci beaucoup de venir nous porter ton regard d’adolescente et de jeune femme sur cette réalité que l’attente est bonne pour se construire. Je sais que vous êtes plusieurs à 14/15 ans à avoir compris cela, malgré ce que les médias rapportent!

  9. Photo du profil de Missmath
    Missmath 14 années Il y a

    Quel beau billet. J’adore le commentaire de Monsieur Trudeau : Comment justifier à l’enfant l’attente artificielle d’un plaisir alors que les parents ne se privent de rien ? Les gens travaillent de plus en plus pour se priver de rien. Les jeunes travaillent de plus en plus pour se priver de rien. Belle époque du tout tout de suite.
    Un jour, ma mère qui a connu les dures années de l’histoire du XXe siècle a dit comme ça : « Les jeunes d’aujourd’hui ne mangent que du pain blanc et jamais de croûte ». Et pourtant, avec les problèmes mondiaux imminents, ils en auront de la croûte. Je ne doute pas qu’ils sauront trouver des solutions, mais n’y a-t-il pas un âge idéal pour apprendre la patience et la persévérance ?
    L’autre point que j’aimerais soulever c’est l’importance d’inculquer aux enfants la différence entre un désir et un besoin. L’enfant a besoin de vêtements de sport. L’enfant désire des vêtements Billabong. Méchante nuance.

  10. Photo du profil de GuilaumeJoly
    GuilaumeJoly 14 années Il y a

    Oui, le désir, mais surtout la persévérance. Avec ma petite fille, c’est à travers le sport ou les arts que je vais bien essayer de lui inculquer la valeur de l’effort. Personnellement, j’appelle la génération actuelle la « génération RESET». Ils ont tellement joué à des jeux vidéo qu’ils confondent à mon avis la vraie vie avec celle des jeux. Lorsque ça ne marche pas comme ils le veulent : RESET, on repart à neuf, on recommence.
    À mon avis, le sport permet aux enfants d’apprendre que même si tu veux quelque chose, ça ne vient pas automatiquement. Parfait, le sport t’apprend aussi que même si tu l’aurais mérité, et bien tu ne l’auras quand même pas. Le sport, ça t’apprend que la vie n’est pas toujours juste, mais ça t’apprend que la vie peut être exaltante, belle et pleine de rebondissements auxquels il faudra être capable de s’adapter.
    Le sport, c’est à mon avis la meilleure école de vie, du moins, ce fut la mienne.

  11. Photo du profil de ostiane
    ostiane 14 années Il y a

    Le problème majeur auquel nos enfants sont confrontés c’est que d’un côté la socité leur crie « achète, consomme, c’est ton droit, prends, maintenant, tout de suite, plus tard il sera trop tard » et de l’autre, cette même société les condamne « Non, fais pas ci, fais pas ça, voleur, zappeur, inconstant… »
    On leur vend des excitants à longueur de journée et dans le même temps, on les traite de drogués et d’enfants gâtés.
    C’est à l’adulte de se montrer cohérent. L’enfant suivra peut-être si l’adulte lui montre la voie au lieu de lui dire ce qu’il est incapable de faire lui-même…
    A l’adulte de montrer à l’enfant la différence entre être et avoir.
    Ostiane

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