Chacun pour soi : ça commence à l’école

L’avantage du mois de juillet sur les autres mois de l’année est qu’il valorise le temps libre. En période de vacances, je me relâche et je prends plus de temps pour mieux faire. Je me lève le matin en n’ayant que très peu de tâches essentielles à accomplir pour « réussir » ma journée, ce qui a pour conséquence de ralentir mon rythme.

J’observe en vieillissant que la pratique du golf y est pour beaucoup dans cet état de fait : pour être heureux sur un parcours de 18 trous, il me faut prendre le temps. Plus je savoure l’instant présent, mieux je joue et meilleur est mon score.

Parce que je sais que j’ai quelques heures devant moi pour peaufiner mon élan, je me concentre davantage sur ce que j’ai à accomplir. Ainsi, je deviens beaucoup plus habile à composer avec le présent et j’ai moins besoin d’anticiper.

Je me concentre mieux sur ce que je suis en train de faire et j’oublie ce que je devrais – plutôt – faire.

Mes rencontres avec les humains qui m’entourent sont plus intenses, ce que je mange goûte meilleur, la musique à mes oreilles trouve mieux son chemin en moi et ce que je lis me paraît tout à coup très profond.

Le privilège d’avoir du temps devant soi constitue un puissant révélateur dont il me faut prendre le temps de nommer pour bien m’en souvenir…

Je pourrais raconter ici plusieurs exemples, mais la motivation à écrire ce billet vient d’abord du visionnement d’un épisode de la 2e saison de l’émission Vocation:Leader consacré à l’homme d’affaires beauceron Marc Dutil. Il y est beaucoup question d’entrepreneuriat et d’éducation.

Vers les 21 minutes 30 secondes, un passage m’a littéralement foudroyé. Il m’est venu un ardent désir de le retranscrire…

« Lors d’une graduation, un professeur d’une prestigieuse institution américaine a dit à 1 000 élèves tout beaux et tout fins, ainsi que devant leurs parents, même si vous avez toujours eu des étoiles dans vos cahiers pour vos notes de 95 % en maths, vous n’êtes pas si spéciaux que ça. Si vous êtes 1 dans 8 millions, y’en a 8 000 autres comme vous sur la planète. Or, ce n’est qu’à travers votre connexion avec les autres que vous deviendrez spéciaux. Le système scolaire a tendance à récompenser la performance individuelle. Comme employeur, j’en ai rien à foutre des premiers de classe. Je comprends les autres, j’ai du courage, de l’humilité et de l’empathie. J’ai du leadership, du jugement, c’est de ça que nous avons besoin. »

Le constat de celui qui est intimement lié à l’École d’Entrepreneurship de Beauce, m’habite depuis ce visionnement et quatre jours plus tard, il m’invite à une prise de conscience importante:

Au Québec, l’évaluation survalorise l’individu au détriment du collectif!

Je « sais » cela depuis longtemps, mais il me semble que ce passage de l’entrevue de Gérald Fillion avec Marc Dutil est révélateur de l’immense portée du message que l’école québécoise passe aux enfants dès leur tout jeune âge.

Si ces paroles ont eu autant de répercussions chez moi, je crois que c’est lié à l’espace occupé par le débat sur l’évaluation des apprentissages ces derniers temps.

Il me revient en tête plusieurs textes publiés récemment qui ont ajouté à mon sentiment d’inconfort…

Et bien d’autres.

Quand l’école québécoise maintient en place des pratiques en évaluation qui suintent l’individualisme et encouragent des conduites déloyales très tôt dans le parcours scolaire, on ne devrait pas se surprendre de la vigueur avec laquelle on les remet en question.

Pour peaufiner ma réflexion j’ai pris le temps de relire un essai de maîtrise que j’avais mis de côté dans mes signets dont le titre cadre parfaitement avec le sujet de mes préoccupations du moment:

« L’évaluation individualisé du rendement et ses effets pervers sur les relations au sein des équipes de travail : paradoxe dans les organisations. »

En naviguant sur Internet, je suis aussi tombé sur ce plus court article de HEC Montréal qui identifie quatre comportements contre-productifs qui sont peut-être issus de notre propension à survaloriser à ce point le «chacun pour soi» dans nos pratiques en évaluation… (ajout: article complémentaire au Devoir sur ce même sujet)

  1. Parasitisme
    Les comportements de parasitisme se manifestent de différentes façons: arriver en retard aux réunions, prétendre être très occupé pour ne pas avoir à assumer de nouvelles responsabilités, ralentir son rythme de travail, feindre un malaise afin de quitter le travail plus tôt que prévu ou encore tarder à répondre à ses courriels en espérant qu’un autre destinataire s’en charge. Ces comportements suscitent de la frustration chez les collègues qui subissent les contrecoups d’une répartition de plus en plus inégale de la charge de travail. Avec raison, ils ressentent un sentiment d’iniquité et finiront par se désengager, ayant fait plus que leur part du travail. Résultat : la performance de l’équipe est en chute libre.
  2. Survalorisation personnelle
    Les comportements de survalorisation personnelle, ou le « syndrome de la diva », évoquent peut-être le satin et les plumes, mais ils sont beaucoup plus ravageurs qu’ils ne le paraissent. Ils consistent notamment à se vanter de la quantité de travail accompli et à se comparer avantageusement à ses collègues, et ce, sans rater une occasion de souligner ce qu’on fait de plus ou de mieux pour bien paraître aux yeux des patrons. Devant des comportements de survalorisation personnelle, la cohésion s’effrite.
  3. Individualisme
    L’individualisme est aussi susceptible de nuire à l’efficacité d’une équipe. Ne pas se conformer au plan de travail convenu en équipe, considérer uniquement ses propres idées et prendre des décisions sans tenir compte de leur impact sur les autres en sont quelques exemples. Dans ce climat de « chacun pour soi », le travail finit par manquer de direction et de cohérence.
  4. Agressivité
    Dans des contextes de grand stress et de tension manifeste, l’agressivité peut devenir une soupape, une manière de se soulager de ses frustrations. Et les agressions interpersonnelles se multiplient ainsi au gré des rumeurs qui se mettent à circuler, des propos malveillants ou des « petites » humiliations qui minent la crédibilité et la confiance d’un ou de plusieurs membres de l’équipe. Loin de disparaître, le stress et les tensions se décuplent, dans la crainte des conduites d’agression futures. La méfiance s’installe et l’énergie de l’équipe est canalisée vers l’appréhension de ces comportements destructeurs.

Ces propos me donnent le goût – évidemment – de participer plus activement à la mise en place de meilleures pratiques en évaluation des apprentissages au Québec.

Une inspiration pourrait venir des tests PISA qui depuis 2015 a inséré parmi ses cibles celle de la résolution de problèmes en collaboration.

Je relisais sur le site de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) les principes de base de l’enquête PISA et je me réjouissais des fondements qui s’y trouvent…

« L’enquête PISA évalue dans quelle mesure les élèves qui approchent du terme de leur scolarité obligatoire possèdent certaines des connaissances et compétences essentielles pour participer pleinement à la vie de nos sociétés modernes. L’enquête se concentre sur des matières clés des programmes scolaires, à savoir les sciences, la compréhension de l’écrit et les mathématiques. Les compétences des élèves sont également évaluées dans un domaine novateur (la résolution collaborative de problèmes, en 2015). L’enquête PISA ne cherche pas simplement à évaluer la faculté des élèves à reproduire ce qu’ils ont appris, mais vise aussi à déterminer dans quelle mesure ils sont capables de se livrer à des extrapolations à partir de ce qu’ils ont appris et d’utiliser leurs connaissances dans des situations qui ne leur sont pas familières, qu’elles soient ou non en rapport avec l’école. Cette approche reflète le fait que les économies modernes valorisent davantage la capacité des individus à utiliser leurs connaissances, plutôt que ces connaissances en tant que telles. »

Beau programme.

Quant à savoir si l’individualisme et le «chacun pour soi» est inné chez l’être humain et qu’il est normal de devoir l’encourager, je reviens avec Marc Dutil. Je trouve que sa réponse sur l’entrepreneuriat est inspirante et qu’elle donne le goût de paraphraser…

Merci Gérald Fillion et Marc Dutil…

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